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vendredi 25 janvier 2013

DES UNIVERSITÉS McDONALD ?

Gare au modèle de l’«Université McDonald»

LE DEVOIR, 12 juillet 2012 | Jean-Louis Bourque - Politologue
La grève des étudiants contre l’augmentation radicale et rapide des droits de scolarité apparaît comme le symptôme d’un malaise profond par rapport au détournement de la mission de certains services publics et, en particulier, de la mission essentielle de l’enseignement supérieur.

Depuis les années 1960 et le rapport Parent, on a toujours tenu pour acquis que l’éducation devait être gratuite et accessible à tous. On parlait alors d’un droit fondamental. Depuis quelques années, les libéraux qui nous gouvernent ont choisi d’accentuer le modèle nord-américain du financement et la marchandisation de l’éducation, de plus en plus conçue comme une affaire qui doit devenir rentable. Le concept de l’utilisateur-payeur s’insinue peu à peu. L’étudiant doit payer. Le professeur doit rapporter.

« Faites votre juste part ! », dit le premier ministre. Sans aucun doute, la part de l’étudiant c’est d’étudier, pas de travailler au dépanneur, au restaurant, au poste d’essence ou dans un hôtel pour arriver à joindre les deux bouts. La part du professeur est d’abord et principalement d’enseigner, pas de monter des dossiers pour obtenir des subventions ou ne faire que de la recherche commanditée par les grandes entreprises pour leurs besoins spécifiques.

La vocation fondamentale de l’université est de former des êtres humains libres, compétents et responsables, capables de création, de réflexion et de pensée critique afin d’améliorer le sort de tout un chacun dans la société. Il s’agit là d’un service public, sans doute le plus essentiel, qu’il ne faut surtout pas laisser entre les mains des chercheurs de profit.

Aujourd’hui, on demande aux professeurs d’obtenir des contrats et de monter des dossiers complexes pour obtenir des subventions de recherche et mériter ainsi leur avancement, et l’on confie les charges d’enseignement à des chargés de cours que l’on paie beaucoup moins… en quelque sorte en sous-traitance.

À cette déviation de la mission enseignante de l’université s’ajoute une vive compétition entre les universités qui entraîne des dégâts importants : coûts publicitaires aberrants, diplomation garantie (donc au rabais) pour figurer en bonne place dans des palmarès aux critères discutables et maraudage de clientèles hors du territoire naturel pour gonfler les statistiques.

Les universités ne doivent pas être au service du marché, des entreprises, au service du développement de l’économie du savoir ; elles ne doivent pas être empêtrées dans les dogmes du capitalisme comme le souhaite de façon simpliste l’homme d’affaires François Legault, chef de la Coalition avenir Québec.

Un État, une ville, une province, un village, une université ne sont pas des entreprises privées. Ce sont des organismes publics au service de la collectivité et du bien commun. Les gérer comme des entreprises privées, en fonction des coûts, des rendements et des profits financiers, c’est les détourner de leur mission fondamentale.

La recherche appliquée au service des entreprises se trouve à être financée par les deniers publics lorsqu’elle accapare l’activité universitaire au détriment des besoins de l’enseignement et de la formation, au détriment de la recherche libre, indépendante et fondamentale à long terme.

L’université doit être libre, démocratique, autonome et universelle. Elle doit être au service de la collectivité, du peuple et de la démocratie. L’enseignement et la recherche universitaire doivent être principalement au service de l’homme et de l’être humain en général, pour le mieux-être de toute la société, et ce, dans tous les domaines. Il faut choisir entre le modèle de la Sorbonne et celui de la « Hamburger University McDonald » qui s’occupe, en Illinois, de la formation des gérants de la chaîne.

Combler le sous-financement des universités par l’augmentation des droits de scolarité est une autre aberration qui ne tient pas la route. Beaucoup de sommes d’argent dans le réseau de l’éducation pourraient facilement être récupérées et mieux orientées à cette fin. Le professeur Omar Aktouf, de HEC, en dresse une liste de plus de 32 millions de dollars publiée dans l’ouvrage Université inc. des politologues Éric Martin et Maxime Ouellet.

La révolte étudiante est une saine réaction à cette logique budgétaire qui ne sert que les intérêts de quelques-uns, les nouveaux oligarques puissants qui veulent faire main basse sur les universités, les détourner de leur vocation et de leurs rôles fondamentaux, et les utiliser pour s’enrichir sans en mesurer les conséquences.

Transformer l’université en école de formation pour les entreprises multinationales, comme l’Université McDonald aux États-Unis, est une aberration. Le rôle de l’université ne consiste pas à aider et soutenir les restaurants McDonald, pas plus que les grandes sociétés pétrolières ou gazières, pas plus que les grandes sociétés pharmaceutiques.

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 Voir aussi : 

DES SUBVENTIONS DÉSÉQUILIBRÉES




mardi 22 janvier 2013

LE COMPLOT DU 14 DÉCEMBRE 2000

Une histoire peu glorieuse de notre Assemblée nationale….

Un geste lâche et ignoble qui n'a toujours pas été réparé.

LE COMPLOT DU 14 DÉCEMBRE 2000

par Matthias Rioux.
Ex-ministre et député du Parti Québécois dans Matane (1994-2003)
20 décembre 2010  -  Vigile.net
Ce jour-là, je me précipite à l’Assemblée nationale en provenance de la Gaspésie. Un membre du personnel de l’Assemblée m’informe qu’un vote est sur le point de débuter. Il vérifie si je peux entrer. Mon pupitre étant tout près de la porte, il me fait signe d’y aller rapidement. Voyant le Président et un greffier debout, je m’enquiers auprès de mon voisin, Rosaire Bertrand, député de Charlevoix, de quoi il s’agit. Il m’informe d’une résolution concernant Yves Michaud. Sans plus. Le vote est en cours, impossible alors de demander au Président de relire la résolution. La procédure me confine à l’ignorance totale de la fameuse résolution. Furieux, je me vois contraint d’appuyer la résolution ne sachant pas si elle est favorable ou défavorable à l’endroit de Yves Michaud. 

Les députés péquistes se lèvent et votent. J’imagine pour un instant qu’elle lui est favorable. Rapidement, la réalité me rattrape lorsque j’entends le greffier prononcer : «Monsieur Charest, Sherbrooke» sans que le Président ait eu à demander : «Quels sont ceux qui sont contre la résolution». Imitant leur chef, les députés libéraux se lèvent opinant du bonnet, certains avec le sourire. Je comprends qu’il s’agit d’une motion sans préavis, négociée préalablement entre l’opposition officielle et le gouvernement.

Après la séance, je mets tout en œuvre  pour me procurer le texte de la fâcheuse résolution. D’autant, qu’un collègue m’informe qu’elle blâme Michaud pour des propos offensants tenus à l’endroit de la communauté juive. Je lis attentivement le texte pour comprendre les motifs du blâme et pourquoi une telle résolution fut présentée sans préavis et à l’insu des députés. Que dit la résolution :
«Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques, et, en particulier, à l’égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000».
Pas un mot dans ce libellé ne démontre que le citoyen Michaud a tenu des propos à ce point inacceptables qu’il mérite une dénonciation sans nuance et surtout unanime des membres de l’Assemblée nationale. Je sens qu’il y a anguille sous roche et que l’on veut tuer une mouche avec un kalachnikov. Au caucus des parlementaires péquistes, je constate que plusieurs députés semblent mal à l’aise. J’entends encore Bernard Landry déambulant vers le buffet dire discrètement à Louise Beaudouin : «on maltraite nos amis». Je me lève pour souligner au premier ministre qu’une résolution de cette importance, votée dans la précipitation, sans en avoir informé préalablement l’aile parlementaire, était inacceptable. Visiblement irrité, il me répond que la situation était grave et qu’il fallait agir vite. La même logique que le commando qui frappe à l’aube.

Peloton d’exécution parlementaire

J’utiliserai la méthode interprétative pour expliquer ma compréhension de ce jour sombre du parlementarisme québécois. Certes, une certaine réserve est inhérente à la fonction parlementaire, mais dans le cas qui nous occupe, rien ne peut empêcher un ancien parlementaire de réparer l’injure faite à Yves Michaud et redonner à notre Parlement national le lustre qu’il perdu le 14 décembre 2000 en se transformant en peloton d’exécution. 
Sans avoir la preuve documentaire ou testimoniale, j’ai la conviction que le complot ourdi contre Michaud a été conçu hors du parlement et que son orchestration devant l’Assemblée fut l’oeuvre de deux complices : Laurence Bergman, ancien président d’une section du B’nai Brith, député libéral de D’Arcy McGee et de André Boulerice, péquiste de service et représentant de la circonscription de Sainte-Marie-Saint-Jacques. 
Le premier, se croyant investi de la mission de représenter la communauté juive à l’Assemblée, le second disant posséder dans sa génétique une filiation avec le Peuple élu. Dans son excellent ouvrage : Chronique d’une exécution parlementaire, l’historien Gaston Deschênes ne lève pas le voile sur l’origine du complot. Néanmoins, son essai nourrit le doute qui m’habite depuis dix ans. Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui, lors de l’événement, ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue? 
À moins d’une preuve irréfutable démontrant le contraire, je refuse encore aujourd’hui de croire que Bernard Landry a influencé Lucien Bouchard dans son colérique aveuglement. Appelé à commenter les propos de Yves Michaud tenus à l’émission de Paul Arcand, le premier ministre n’y avait d’abord vu aucune trace d’antisémitisme. D’où vient ce alors se changement de cap aussi soudain que brutal? 

Les auteurs de la résolution assassine évoquée plus haut ne sont pas les vrais acteurs du geste ignoble posé par l’Assemblée nationale. Les deux députés étaient de simples porteurs de ballon qui ont exécuté avec une joie servile les ordres venus d’en haut. On imagine aisément la jubilation du chef de l’Opposition officielle de déposer une résolution accusant fallacieusement un militant séparatiste d’antisémitisme et de racisme. 
Pour Jean Charest, c’était un moment béni voire l’occasion inespérée de casser du sucre sur le dos de Michaud, ancien député libéral (1966-1970), un homme dérangeant, voire menaçant pour les establishments de tout acabit. Il ne faut pas tomber dans le piège d’un rapprochement facile avec Machiavel, le célèbre auteur du Prince. Évitons d’insulter l’intelligence du philosophe florentin dont l’oeuvre théorique prônait l’avènement d’un «ordre nouveau» fondé sur la morale, la liberté et la laïcité.

Privé d’un droit élémentaire

L’autre acteur du complot est l’ancien premier ministre, Lucien Bouchard. Peut-on imaginer qu’il ignorait que la résolution sordide condamnant Yves Michaud était sans fondement? Que les propos de Michaud lors des audiences des États généraux sur la langue ne comportaient aucune charge contre le peuple juif et l’holocauste? Il savait surtout que les parlementaires appelés à voter, par la force, une telle motion étaient privés de l’information nécessaire à la mise en contexte de l’évènement et, ce faisant, l’Assemblée se transformait en tribunal populaire sans droit d’appel. «Étrange paradoxe» écrira le juge Beaudoin dans son jugement sur l’Affaire Michaud. D’autant, que les autorités ont systématiquement refusé à l’accusé Michaud le droit élémentaire de s’expliquer devant une commission parlementaire.

Ce 14 décembre 2000, où étaient donc passées les règles de justice naturelle, quand notre Assemblée nationale bafoua une des plus importantes d’entre elles, l’audi alteram partem, si chère à Bernard Landry, garantissant à un accusé le droit strict de se faire entendre. Ce jour-là, l’Assemblée nationale est devenue un tribunal par la volonté de deux hommes, pour exécuter un citoyen sans preuve et sans droit d’appel. Un geste sans précédent dans l’histoire du parlementarisme des pays civilisés.

À de nombreuses occasions, Yves Michaud a témoigné de ses liens d’amitié avec la communauté juive de Montréal. Il a loué le courage d’un peuple qui a fait naître un pays souverain au coeur du monde arabe. En déclarant que les juifs n’avaient pas le monopole de la souffrance, il n’a pas voulu stigmatiser cette communauté, tant s’en faut. Il a choisi de rappeler, avec à-propos, que d’autres peuples victimes du génocide (Arménien, Rwandais, etc.) vécurent l’ostracisme.

Éliminer un trouble-fête

En confiant à l’Assemblée nationale la sale besogne d’assassiner politiquement Yves Michaud, Lucien Bouchard a voulu enlever de sa route un candidat pressenti dont l’élection dans la circonscription de Mercier était, selon les observateurs, une formalité. La présence d’un tel trouble-fête au sein de son caucus l’a conduit à opter pour l’exécution parlementaire. Un chef respectueux de sa base militante aurait laissé l’association locale choisir son candidat et ultimement refusé de signer son bulletin de candidature. Il ne faut pas se scandaliser du comportement autocratique de Lucien Bouchard. Pour mieux contraindre ses députés à la discipline, il a échappé un jour cette énormité : «pas de caucus pas de gouvernement». Une négation de l’esprit du système britannique de représentation, de la prépondérance du pouvoir législatif et de la nécessité du contrôle parlementaire. Durant le règne de Lucien Bouchard, les péquistes ont connu les affres du centralisme démocratique qui a longtemps prévalu à une autre époque, en d’autres lieux. 
Aujourd’hui, je joins ma voix à celle de mes anciens collègues pour dénoncer le complot dont fut victime Yves Michaud le 14 décembre 2000 et lui présenter mes excuses les plus sincères. J’en profite pour dire la honte que j’éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs. Difficile d’imaginer qu’une démocratie représentative puisse descendre aussi bas. Il est réconfortant de constater que d’anciens parlementaires acceptent aujourd’hui de relever la tête et reconnaissent leur erreur.

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Publié dans Vigile.net :

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SCANDALE AU CUSM

Non seulement la lâcheté des gouvernements précédents a permis d'accorder un centre de recherche médicale superflu à la minorité anglaise du Québec qui fait moins de 10% de la population, en lui accordant 50% des subventions totale (50% au CHUM), mais on apprend de plus que le CUSM (Centre universitaire de santé McGill) serait profondément corrompu...
RAPPEL :  pour grossir le texte, taper Ctrl + ; pour le réduire, taper Ctrl - 
»» Rémunération au CUSM: 888 000 heures inexplicables

Avec un énorme déficit de plus de 60 millions de $...
Dans La Presse :
Vincent Larouche
Le nombre d'heures rémunérées a explosé sans justification valable au Centre universitaire de santé McGill
http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201212/17/01-4604790-remuneration-au-cusm-888-000-heures-inexplicables.php
Dans Le Devoir :
»» Le Centre hospitalier universitaire McGill (CUSM) fait figure de cancre
     selon le Ministre de la Santé, Réjean Hébert
Le ministre a ainsi réagi, mercredi, au déficit de 61 millions $ appréhendé en mars prochain. Québec a placé l’établissement en quasi-tutelle, en nommant un accompagnateur, pour reprendre le contrôle des finances.
http://www.ledevoir.com/societe/sante/366753/le-cusm-fait-figure-de-dernier-de-classe-selon-le-ministre-rejean-hebert
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ILLUSIONS DÉGONFLÉES

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Il faut lire et diffuser la magistrale réponse de l'éditorialiste du Devoir,
Antoine Robitaille, à André Pratte, éditorialiste de La Presse...
Un échange capté sur Facebook.

Le 21 janvier 2013


Antoine Robitaille - J'ai eu un échange intéressant avec André Pratte par courriel. Ce matin, à la suite de mon texte, il m'écrit :

Salut Antoine,

Tu ne t'étonneras pas que je sois en désaccord avec plusieurs de tes arguments de ce matin. Mais il y a une phrase qui m'a vraiment fait tiquer. B. Pelletier serait «l'un des derniers réels fédéralistes québécois (les autres étant «canadians»)», selon toi. Pourquoi Pelletier est-il un réel fédéraliste, et pas d'autres? Est-ce que c'est comme les «vrais Québécois» et ceux qui ne le sont pas? Et pourquoi des «canadians»? C'est quoi un Canadian: un vendu? Un traître?

Bonne journée,
André 
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Je lui ai répondu ce qui suit :

Cher André, 

Épargne-moi ce type de procès d'intention, s'il te plaît! Dans mon esprit, les fédéralistes «canadians», ce sont ceux qui acceptent l'ordre de 1982. D'abord parce qu'ils en profitent. Will Kymlicka démontre bien dans le livre que j'ai traduit (Finding our Way, rethinking ethnocultural relations in Canada,http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/voie-canadienne-1138.html ) que les individus composant ce qu'il nomme lui-même la «nation anglophone» du Canada ont beaucoup gagné de cette réforme.

Avec 1982, «l’idée que le Canada constitue une communauté nationale unique» l'a emporté. Or, «pour les anglophones, [cela] revient à dire que ces derniers devraient être en mesure de vivre et de travailler en anglais dans l'ensemble du pays, en pouvant y transporter partout leurs droits et leurs avantages sociaux. Ces aspects de la conception canadienne anglaise du nationalisme pan-canadien contribuent non seulement à augmenter la mobilité des Canadiens anglophones mais aussi à accroître leur poids politique. Si les droits et les normes linguistiques des programmes sociaux doivent être de portée nationale, les décisions doivent alors être prises au niveau fédéral plutôt que provincial. Cela signifie par conséquent que ces décisions seront prises dans un forum où les Canadiens anglophones constituent une écrasante majorité. En soutenant une conception pancanadienne de la nationalité, les Canadiens anglophones s’assurent donc que leurs droits linguistiques et leurs avantages sociaux à travers leur pays ne sont jamais soumis aux décisions d’un corps politique dans lequel ils sont une minorité.»

Les fédéralistes «canadians», c'est aussi ceux qui, souvent au Québec, fatigués par de longs combats, en viennent à accepter l'ordre de 1982. De guerre lasse, ils se disent: «Il n'y a plus rien à tenter. Et l'alternative, la souveraineté du Québec, ce serait désagréable.» Alors autant se faire une raison et tenter de magnifier ce qu'il y a de bon dans ce pays. (Est-ce ce que tu fais avec «L'idée fédérale»? Peut-être, je n'ai pas lu tous vos documents. Il est certain que de contempler «l'idée» fédérale est peut-être plus commode que de se pencher sur sa «réalité» fédérale. Ha, ha, permets-moi quand même un peu de mauvaise foi, toi qui m'a presque accusé de racisme tout à l'heure!)

Les «fédéralistes québécois» ont perdu sur toute la ligne. Quand ils s'en sont rendu compte, ils ont froncé les sourcils et, dans un baroud d'honneur, en 1990-1991, ont laissé miroiter que cela pourrait les conduire à s'engager dans la voie de la souveraineté. Mais ils se sont dégonflés. (Hypothèse : s'ils avaient été conséquents, nous aurions peut-être aujourd'hui une nouvelle confédération de type «Canada-Québec» et nous serions peut-être passés à autre chose, qui sait? Bien des choses auraient été clarifiées.)

Ce qui est terrible, c'est que ces pauvres «fédéralistes québécois» sont présentés comme des enfants gâtés dans le reste du dominion alors qu'ils n'ont RIEN gagné. Permets-moi de te citer Kymlicka de nouveau. Il y a une «opinion souvent entendue au Canada anglophone selon laquelle il nous faut rejeter les demandes constitutionnelles du Québec parce que "nous ne cessons de donner sans cesse aux Québécois, mais ils ne sont jamais contents". Or, dans les faits, lors des nombreuses rondes de négociations constitutionnelles au cours des trente dernières années, aucune des demandes constitutionnelles du Québec n’a été satisfaite. La seule réforme constitutionnelle qui eut lieu — le rapatriement de 1982 — était empreinte de la haine idéologique de Trudeau pour le nationalisme québécois et a reçu l’appui de toutes les provinces sauf le Québec. Bref, en 30 ans de débat et de réformes constitutionnels, le Québec a sans cesse été le perdant et n’a rien gagné».

Kymlicka ajoute un passage du philosophe Jeremy Webber qui notait qu'on a accusé les Québécois «… de dominer le Canada, même si la constitution avait été rapatriée sans leur consentement. Les modifications constitutionnelles avaient était faites en réponse à l’inquiétude de l’Ouest à propos de la fiscalité des ressources naturelles; elles avaient constitutionnalisé les droits scolaires des minorités de langues officielles; elles avaient garanti — en termes généraux — les droits des autochtones et avaient reconnu l’héritage multiculturel du Canada, mais dans toutes ces années de délibérations, aucune modification ne fut adoptée à la demande du gouvernement du Québec, pas une seule modification n’avait pris les préoccupations traditionnelles du Québec en compte quant au pouvoir fédéral de dépenser, quant au partage des compétences, au pouvoir de désaveu, ou à la reconnaissance du caractère distinct du Québec».

Les fédéralistes québécois, qui sont-ils? Ce sont les Ryan, Bourassa, et compagnie. On pourrait dire que Brian Mulroney avait une vision «québécoise» de la fédération canadienne. Il a perdu. Des politologues canadiens anglais comme Kenneth McRoberts aussi.http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/pays-refaire-866.html
Tu connais sans doute le livre de Guy Laforest qui analyse la «Fin d'un rêve canadien»; rêve déchu des Solange Chaput-Rolland et autres Gérald Beaudoin. Je vois en Benoît Pelletier un des derniers représentants de ce courant.

Un peu comme leurs adversaires souverainistes, ces autres perdants, les tenants de ce courant n'arrivent pas à «ranimer la flamme» pour leur option.

Depuis 1995, il y a eu les gouvernements Bouchard et Landry, souverainistes, qui ont espéré mais se sont buté à la réalité. Puis, Jean Charest est arrivé. Il n'a pas complètement abandonné le fédéralisme québécois puisqu'il a valorisé par exemple la doctrine Gérin-Lajoie. Il a réussi à obtenir des «gains» administratifs. A tenté d'anesthésier toute volonté de revendication trop ambitieuse à l'endroit du fédéral, cependant. A répété que dans une fédération, on se dispute, «c'est normal». Qu'on ne change pas de pays parce qu'on ne s'entend pas avec le gouvernement central. Au pouvoir, Jean Charest s'est employé à dédramatiser au maximum les heurts avec le fédéral. Quant à ses «gains», Jean Charest a répété sa liste à satiété: «On s'est entendus sur le fédéralisme asymétrique dans l'entente sur la santé. [...] on s'est entendus sur l'UNESCO. Sur le plan des valeurs, on s'est entendus sur les congés parentaux [...]. Sur le plan des valeurs, on s'est entendus sur l'exploitation d'Old Harry.» (octobre 2011)

Mais il n'y a vraiment rien de facile pour le Québec à Ottawa depuis l'arrive de Stephen Harper au pouvoir, lui qui avait pourtant promis, à Québec en 2005, une Charte du fédéralisme d'ouverture (ce qui enchanta Benoît Pelletier en passant). Sept ans plus tard, le dernier ministre libéral des Relations intergouvernementales, Yvon Vallières, a pourtant déclaré avant de quitter son poste que le gouvernement fédéral avait «oublié» le Québec.

Malgré tout, j'entends les candidats à la chefferie du PLQ plaider encore et encore la bonne-entente, faisant de belles professions de foi fédéralistes, répétant qu'il faut discuter encore, participer au fédéralisme canadien; ce même système qui a systématiquement transformé ses défenseurs québécois en perdants. Philippe Couillard propose de renforcer le Conseil de la fédération, lui donner un secrétariat. Pourtant, je me souviens de la colère d'un Claude Ryan, en 1999, contre l'échec de ce qu'on a appelé l'Union sociale, où le Québec s'est retrouvé isolé. «C’est la troisième fois, au cours des 30 dernières années, qu’après s’être engagé dans une démarche commune avec les autres provinces et territoires, le Québec aura été lâché en cours de route par ses partenaires», a dit Ryan. La première fois, c'était, avait-il expliqué, lors du rapatriement de la Constitution, en 1981. La seconde, lors de l’accord du lac Meech, en 1990.

Il est donc immanquable que devant les difficultés actuelles et anciennes des fédéralistes québécois, l'on se retourne vers le contrat fondamental de ce pays en se demandant s'il n'est pas en cause, s'il n'est pas vicié. Et à ce moment, on se souvient que ce sont les fédéralistes québécois eux-mêmes qui nous l'ont dit sans arrêt dans les années 1980-1991 qu'il était vicié. Et ils étaient très convaincants ! Écoutons Robert Bourassa en 1990 : «On fait des propositions, ça marche jamais. Si le Canada lui-même refuse toute rénovation du fédéralisme à ce moment là, on ne peut pas nous reprocher, de faire la souveraineté. Ce que le Parti libéral dit, c'est qu'on veut que le Québec se développe sans démanteler le Canada. Mais si tous les efforts pour que le Québec puisse se développer sans démanteler le Canada demeurent vains, à ce moment là, la restriction [...] qu'on veut développer sans démanteler, la restriction n'existe plus. Mais c'est pas la responsabilité du Québec.»

L'ennui, André, c'est que l'alternative a été essayée; non pas par M. Bourassa mais par Jacques Parizeau, assisté d'un homme que tu connais bien pour le côtoyer, Lucien Bouchard. Si M. Bourassa avait tenté le coup, il aurait pu adopter l'attitude des indépendantistes américains. Insister sur le fait qu'il a tout tenté pour changer cette fédération. Il aurait pu se montrer raisonnable, reprenant les termes d'une fameuse déclaration: «La prudence enseigne, à la vérité, que les gouvernements établis depuis longtemps ne doivent pas être changés pour des causes légères et passagères.» Pour ajouter ensuite : «Mais lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations»...

Non, l'autre option du Québec s'est aussi abîmée, elle a perdu. De justesse, mais elle a perdu en 1995. Que faire maintenant que nos deux utopies — fédéralisme renouvelé et souveraineté-partenariat— ont échoué? Le Québec actuellement choisi le déni. Dans le camp souverainiste, on scande «on veut un pays» en refusant de voir que celui-ci est loin d'être à l'horizon; ou alors on s'épuise dans des luttes de chapelles. Dans le camp libéral, le déni confine à une sorte de bonne-ententisme; quand les vieux combats sont évoqués, par M. Couillard ou d'autres, ils le sont sur le mode réservé aux «vieux griefs»: c'est-à-dire repris sans conviction ni espoir réel de victoire. La CAQ, elle, a le déni extrême : on cesse carrément de parler de ces deux impasses et on se concentre sur la petite gestion.

C'est une situation malsaine, André, et les fédéralistes québécois, effondrés depuis 1991, qui ont cessé de cultiver leur rêve, en sont en grande partie responsables. D'où ma petite colère de ce matin à leur endroit. 

À bon entendeur, salut, 

Antoine Robitaille

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