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mardi 22 janvier 2013

LE COMPLOT DU 14 DÉCEMBRE 2000

Une histoire peu glorieuse de notre Assemblée nationale….

Un geste lâche et ignoble qui n'a toujours pas été réparé.

LE COMPLOT DU 14 DÉCEMBRE 2000

par Matthias Rioux.
Ex-ministre et député du Parti Québécois dans Matane (1994-2003)
20 décembre 2010  -  Vigile.net
Ce jour-là, je me précipite à l’Assemblée nationale en provenance de la Gaspésie. Un membre du personnel de l’Assemblée m’informe qu’un vote est sur le point de débuter. Il vérifie si je peux entrer. Mon pupitre étant tout près de la porte, il me fait signe d’y aller rapidement. Voyant le Président et un greffier debout, je m’enquiers auprès de mon voisin, Rosaire Bertrand, député de Charlevoix, de quoi il s’agit. Il m’informe d’une résolution concernant Yves Michaud. Sans plus. Le vote est en cours, impossible alors de demander au Président de relire la résolution. La procédure me confine à l’ignorance totale de la fameuse résolution. Furieux, je me vois contraint d’appuyer la résolution ne sachant pas si elle est favorable ou défavorable à l’endroit de Yves Michaud. 

Les députés péquistes se lèvent et votent. J’imagine pour un instant qu’elle lui est favorable. Rapidement, la réalité me rattrape lorsque j’entends le greffier prononcer : «Monsieur Charest, Sherbrooke» sans que le Président ait eu à demander : «Quels sont ceux qui sont contre la résolution». Imitant leur chef, les députés libéraux se lèvent opinant du bonnet, certains avec le sourire. Je comprends qu’il s’agit d’une motion sans préavis, négociée préalablement entre l’opposition officielle et le gouvernement.

Après la séance, je mets tout en œuvre  pour me procurer le texte de la fâcheuse résolution. D’autant, qu’un collègue m’informe qu’elle blâme Michaud pour des propos offensants tenus à l’endroit de la communauté juive. Je lis attentivement le texte pour comprendre les motifs du blâme et pourquoi une telle résolution fut présentée sans préavis et à l’insu des députés. Que dit la résolution :
«Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques, et, en particulier, à l’égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000».
Pas un mot dans ce libellé ne démontre que le citoyen Michaud a tenu des propos à ce point inacceptables qu’il mérite une dénonciation sans nuance et surtout unanime des membres de l’Assemblée nationale. Je sens qu’il y a anguille sous roche et que l’on veut tuer une mouche avec un kalachnikov. Au caucus des parlementaires péquistes, je constate que plusieurs députés semblent mal à l’aise. J’entends encore Bernard Landry déambulant vers le buffet dire discrètement à Louise Beaudouin : «on maltraite nos amis». Je me lève pour souligner au premier ministre qu’une résolution de cette importance, votée dans la précipitation, sans en avoir informé préalablement l’aile parlementaire, était inacceptable. Visiblement irrité, il me répond que la situation était grave et qu’il fallait agir vite. La même logique que le commando qui frappe à l’aube.

Peloton d’exécution parlementaire

J’utiliserai la méthode interprétative pour expliquer ma compréhension de ce jour sombre du parlementarisme québécois. Certes, une certaine réserve est inhérente à la fonction parlementaire, mais dans le cas qui nous occupe, rien ne peut empêcher un ancien parlementaire de réparer l’injure faite à Yves Michaud et redonner à notre Parlement national le lustre qu’il perdu le 14 décembre 2000 en se transformant en peloton d’exécution. 
Sans avoir la preuve documentaire ou testimoniale, j’ai la conviction que le complot ourdi contre Michaud a été conçu hors du parlement et que son orchestration devant l’Assemblée fut l’oeuvre de deux complices : Laurence Bergman, ancien président d’une section du B’nai Brith, député libéral de D’Arcy McGee et de André Boulerice, péquiste de service et représentant de la circonscription de Sainte-Marie-Saint-Jacques. 
Le premier, se croyant investi de la mission de représenter la communauté juive à l’Assemblée, le second disant posséder dans sa génétique une filiation avec le Peuple élu. Dans son excellent ouvrage : Chronique d’une exécution parlementaire, l’historien Gaston Deschênes ne lève pas le voile sur l’origine du complot. Néanmoins, son essai nourrit le doute qui m’habite depuis dix ans. Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui, lors de l’événement, ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue? 
À moins d’une preuve irréfutable démontrant le contraire, je refuse encore aujourd’hui de croire que Bernard Landry a influencé Lucien Bouchard dans son colérique aveuglement. Appelé à commenter les propos de Yves Michaud tenus à l’émission de Paul Arcand, le premier ministre n’y avait d’abord vu aucune trace d’antisémitisme. D’où vient ce alors se changement de cap aussi soudain que brutal? 

Les auteurs de la résolution assassine évoquée plus haut ne sont pas les vrais acteurs du geste ignoble posé par l’Assemblée nationale. Les deux députés étaient de simples porteurs de ballon qui ont exécuté avec une joie servile les ordres venus d’en haut. On imagine aisément la jubilation du chef de l’Opposition officielle de déposer une résolution accusant fallacieusement un militant séparatiste d’antisémitisme et de racisme. 
Pour Jean Charest, c’était un moment béni voire l’occasion inespérée de casser du sucre sur le dos de Michaud, ancien député libéral (1966-1970), un homme dérangeant, voire menaçant pour les establishments de tout acabit. Il ne faut pas tomber dans le piège d’un rapprochement facile avec Machiavel, le célèbre auteur du Prince. Évitons d’insulter l’intelligence du philosophe florentin dont l’oeuvre théorique prônait l’avènement d’un «ordre nouveau» fondé sur la morale, la liberté et la laïcité.

Privé d’un droit élémentaire

L’autre acteur du complot est l’ancien premier ministre, Lucien Bouchard. Peut-on imaginer qu’il ignorait que la résolution sordide condamnant Yves Michaud était sans fondement? Que les propos de Michaud lors des audiences des États généraux sur la langue ne comportaient aucune charge contre le peuple juif et l’holocauste? Il savait surtout que les parlementaires appelés à voter, par la force, une telle motion étaient privés de l’information nécessaire à la mise en contexte de l’évènement et, ce faisant, l’Assemblée se transformait en tribunal populaire sans droit d’appel. «Étrange paradoxe» écrira le juge Beaudoin dans son jugement sur l’Affaire Michaud. D’autant, que les autorités ont systématiquement refusé à l’accusé Michaud le droit élémentaire de s’expliquer devant une commission parlementaire.

Ce 14 décembre 2000, où étaient donc passées les règles de justice naturelle, quand notre Assemblée nationale bafoua une des plus importantes d’entre elles, l’audi alteram partem, si chère à Bernard Landry, garantissant à un accusé le droit strict de se faire entendre. Ce jour-là, l’Assemblée nationale est devenue un tribunal par la volonté de deux hommes, pour exécuter un citoyen sans preuve et sans droit d’appel. Un geste sans précédent dans l’histoire du parlementarisme des pays civilisés.

À de nombreuses occasions, Yves Michaud a témoigné de ses liens d’amitié avec la communauté juive de Montréal. Il a loué le courage d’un peuple qui a fait naître un pays souverain au coeur du monde arabe. En déclarant que les juifs n’avaient pas le monopole de la souffrance, il n’a pas voulu stigmatiser cette communauté, tant s’en faut. Il a choisi de rappeler, avec à-propos, que d’autres peuples victimes du génocide (Arménien, Rwandais, etc.) vécurent l’ostracisme.

Éliminer un trouble-fête

En confiant à l’Assemblée nationale la sale besogne d’assassiner politiquement Yves Michaud, Lucien Bouchard a voulu enlever de sa route un candidat pressenti dont l’élection dans la circonscription de Mercier était, selon les observateurs, une formalité. La présence d’un tel trouble-fête au sein de son caucus l’a conduit à opter pour l’exécution parlementaire. Un chef respectueux de sa base militante aurait laissé l’association locale choisir son candidat et ultimement refusé de signer son bulletin de candidature. Il ne faut pas se scandaliser du comportement autocratique de Lucien Bouchard. Pour mieux contraindre ses députés à la discipline, il a échappé un jour cette énormité : «pas de caucus pas de gouvernement». Une négation de l’esprit du système britannique de représentation, de la prépondérance du pouvoir législatif et de la nécessité du contrôle parlementaire. Durant le règne de Lucien Bouchard, les péquistes ont connu les affres du centralisme démocratique qui a longtemps prévalu à une autre époque, en d’autres lieux. 
Aujourd’hui, je joins ma voix à celle de mes anciens collègues pour dénoncer le complot dont fut victime Yves Michaud le 14 décembre 2000 et lui présenter mes excuses les plus sincères. J’en profite pour dire la honte que j’éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs. Difficile d’imaginer qu’une démocratie représentative puisse descendre aussi bas. Il est réconfortant de constater que d’anciens parlementaires acceptent aujourd’hui de relever la tête et reconnaissent leur erreur.

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Publié dans Vigile.net :

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