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lundi 15 octobre 2012

LES PASSES DANGEREUSES


Éditorial de Robert Laplante
dans la revue L'ACTION NATIONALE
Septembre - octobre 2012 
   L’élection du Parti québécois annonce une période qui sera fort périlleuse pour notre avenir national. Les forces de normalisation du Québec, l’action combinée d’un establishment québécois inconditionnel du Canada, une politique de nation building et de déstabilisation de l’État québécois – toujours trop fort, même ligoté – vont nous valoir une offensive de minorisation sans précédent. La lutte sera féroce. Autant le dire haut et fort: il faut s’attendre au pire. Et le pire dans notre situation se présente toujours sournoisement. Pour affronter telle offensive, il faudra rompre avec le bonnententisme d’un peuple prisonnier de ses démons intérieurs et captif de sa funeste propension à toujours minimiser ses pertes. Cela passera par le raffinement de nos outils d’analyse, par le renouvellement de l’action militante et par une plus grande inventivité à contourner les puissants moyens de conditionnement de l’opinion que dressent devant notre mouvement des forces capables d’instrumentaliser aussi bien l’univers médiatique que les ressources institutionnelles.

  Ils ne reculeront devant rien les bonimenteurs à gages pour tenter de faire croire que ce n’est pas le Québec tout entier qui est visé. On les a vus et entendus dire toutes sortes de bêtises pour ne pas voir d’attentat terroriste dans les événements du Métropolis. Tout est acceptable dès lors qu’il s’agit de nier le réel de notre condition et les termes dans lesquels se manifestent l’hostilité inhérente à la volonté canadian de nous réduire enfin. Il ne faut pas se leurrer, le Canada et ses inconditionnels qui s’en font ici le relais mènent une politique d’éradication non seulement du mouvement souverainiste, mais aussi de toute forme de ressort national. Cette politique, en droite ligne issue de 1995, ne fera pas de quartiers. Les Québécois font tout pour se convaincre du contraire, mais Ottawa veut réellement détruire notre capacité de cohésion nationale. Et jamais depuis 1841 n’a-t-il pensé être si près du but.

La démographie joue pour lui, notre poids relatif fond comme neige au soleil.
La puissance pétrolière joue pour lui, lui donne des moyens certes, mais surtout un projet national qui lui donne une audace et une assurance comme il n’en a pas eu depuis la National Policy de Macdonald.

La carte électorale canadian joue pour lui. Les majorités peuvent désormais se composer sans l’appui des Québécois. Plus rien ne lui sert de faire des concessions, si ce n’est pour aménager son propre confort de gouvernance.

La dynamique continentale joue pour lui. L’intégration des politiques énergétiques et la volonté d’inscrire ses intérêts pétroliers dans la géopolitique américaine le rendent plus que jamais réticent à toute forme d’arrangement économique qui tolérerait des choix spécifiques pour le Québec dont les intérêts nationaux font obstacle.

La dynamique internationale joue pour lui. Les crises en cascades et les menaces qui pèsent sur l’économie mondiale renforcent sa crispation sur l’unité nationale et son adhésion au grand credo libre-échangiste.
  Enfermés dans une mentalité provinciale rabougrie, les Québécois ont de plus en plus de mal à se penser dans la politique du monde et, du coup, à saisir correctement la nature de la domination qu’exerce sur nous un régime canadian dont ils sont trop nombreux à ne comprendre ni la logique ni l’architecture. Les partis politiques provinciaux ont parfaitement intériorisé l’idée que gouverner le Québec signifie administrer une agence de livraison de services publics. Le Canada des « grandes affaires » – la guerre, les relations internationales, les échanges économiques de la mondialisation – est pratiquement disparu du débat politique. La dernière campagne électorale a atteint des sommets d’insignifiance béate et d’inculture politique.

  Tout empêtré dans les héritages de ses conduites chaotiques des quinze dernières années, le Parti québécois s’est retrouvé prisonnier de la toile de ses propres contradictions. Lui qui avait tout mis en œuvre pour tenir son option à l’écart de la campagne, qui s’était présenté en sollicitant un mandat d’alternance provinciale vernissée de prétentions velléitaires autonomistes, s’est fait servir une leçon de politique: on ne peut pas demander moins quand on a déjà demandé le tout. La régression des ambitions, même enrobée dans un discours de stratégie pragmatique, n’a rien rapporté. C’était d’autant plus prévisible que l’approche avait été partout claironnée comme étant une ruse pour amener le Canada à dire non. Les partis adverses ne s’y sont guère laissé prendre, personne n’a eu la candeur de succomber à si grossier stratagème. Ils ont donc foncé sur l’option, en faisant pour la millième fois le procès sans en débattre sur le fond, faisant écho à la grande victoire idéologique d’Ottawa qui aura été d’oblitérer les fondements de la revendication nationale en faisant la guerre au référendum. Et ce fut le retour du refoulé, le débat électoral a basculé.

  Qu’il le veuille ou non, ses adversaires ont placé le Parti québécois dans une dynamique à laquelle il a cru un moment se soustraire. Le référendisme tant honni a été retourné contre le parti, contre l’option. Et contre le peuple du Québec lui-même dans la mesure où cette dynamique idéologique évacue tout procès du régime canadian, oblitère toute notion et toute référence à notre intérêt national. Et c’est ce procès d’oblitération qui alimentera tous les dénis de légitimité auxquels le gouvernement minoritaire péquiste est d’ores et déjà soumis. Lui qui avait si farouchement résisté à toutes les tentatives militantes de révision de son cadre stratégique y est désormais condamné tout aussi bien par la pugnacité de ses adversaires que par la réalité de ceux-là de ses alliés traditionnels qui l’ont déserté. L’intérêt national tout autant qu’une claire conscience de sa responsabilité historique l’y conduisent d’ores et déjà – et l’on peut compter sur l’intelligence d’une femme qui vient d’échapper à un attentat pour en saisir toutes les exigences. Telle est la nouvelle donne : notre demi-État national est menacé comme jamais. Nous attendons de ce gouvernement qu’il crée les conditions d’une riposte vigoureuse. Le corridor est extrêmement étroit, les moyens limités, mais en mobilisant les forces vives avec audace et inventivité autour de projets mobilisateurs, il est possible de reprendre l’initiative.

  On peut formuler des tonnes d’hypothèses sur les tactiques et les formes que devra prendre la gouverne péquiste pour tenter de se gagner une prochaine majorité. Mais par-delà les considérations partisanes sur lesquelles devraient ou non se construire les alliances électorales requises, il faut penser au fondement sur lequel elles devront se faire. Et pour les penser, il faut inscrire la lutte militante dans le double registre de la critique radicale du régime et de la définition intransigeante de notre intérêt national. Les réalités démographiques ont renversé le sablier : le temps nous est compté. Les Québécois vont devoir apprendre à se penser dans la tragédie qui est la leur.

  Tout dans la culture politique des quinze dernières années les en détourne. Et pourtant c’est à cette lucidité que nous sommes condamnés. On l’aura compris, elle n’a rien à voir avec la lâcheté démissionnaire que l’employé de Talisman s’est empressé de brandir pour empoisonner le climat politique à la veille de l’entrée en poste du nouveau gouvernement. Les années qui viennent seront exigeantes, il en va non seulement de l’avenir de l’idée d’indépendance, mais en bonne partie aussi du sort de notre situation de minoritaire sur le continent.

  Les choses étant ce qu’elles sont, il faut d’ores et déjà réapprendre à se servir des gestes et du climat de siège sournois que nous impose Ottawa pour redéfinir notre approche du combat. Pour l’idée d’indépendance, les nouvelles circonstances de cette adversité pourraient bien être salutaires. À la condition toutefois de réapprendre à bien nommer les rapports politiques dans lesquels nous nous démenons. Le changement de langage est essentiel au renforcement de la conscience nationale. Le Québec est une nation entravée, dominée, empêchée de fixer ses finalités et de contrôler ses moyens. Cela veut dire qu’il existe un dominant et c’est l’État canadian, qui n’est pas notre ami, qui ne nous veut que le bien qu’il nous impose. Il faut en finir avec les euphémismes technocratiques et surtout avec le syndrome Passe-partout et le discours jovialiste que nous ont distillé trop de bloquistes sur la grandeur du Canada et son fair-play : Ottawa nous a volé le référendum de 1995 ; il a corrompu des pans entiers de l’élite collaboratrice avec son programme des commandites et ses prébendes ; il mène une lutte sans merci à notre langue et à notre culture. Il est temps de replacer le débat sur la légitimité politique de cet État et de ses institutions. Il est temps d’en finir avec la glose des scribes à gages et des capitulards de tout acabit qui tentent de faire croire que nous serions le seul peuple sur la terre à qui la mise en minorité serait bénéfique.

  Les événements viennent de forcer le Parti québécois à s’arracher à sa culture politique du louvoiement. L’avenir du gouvernement dépend désormais de sa capacité à mobiliser dans le combat national. Cela va requérir de lui qu’il traite de tous les dossiers en s’arrachant aux étroites perspectives provinciales. Il faut le reconnaître, c’est un effort qui sera difficile à faire tout en gérant le marasme dans lequel dix ans de corruption et de sabotage des institutions ont laissé la province. Ce n’est pas impossible cependant. À la condition de sortir de la politique déclamatoire. Ce qui est attendu de lui, ce ne sont pas des professions de foi ni des compromis pragmatiques, mais bien des réalisations nationales. Il faut que l’indépendance soit une idée en marche, c’est-à-dire qu’elle s’impose dans l’évidence de l’intérêt matérialisé dans des projets.

  Ce mandat s’impose à lui par des circonstances que tentent d’ores et déjà de lui dicter toutes les forces adverses qui savent bien que les compromis qui dénatureront l’intérêt national seront les seuls qui leur donneront une chance de reprendre non pas tant le pouvoir que les moyens de finir la besogne pour réduire enfin la province à son rang de minorité consentante. Il faudra donc des projets mobilisateurs, des réalisations audacieuses bien davantage que des déclarations d’intention ou des entreprises pédagogiques au service d’une éventuelle perspective référendaire. Le référendum consultatif et le combat gagnable en une campagne de trente-cinq jours sont des idées mortes, après avoir été de dangereuses illusions. Le Clarity Bill a fait tout ce qu’il fallait pour renforcer le Canada dans l’idée qu’il nous tient une fois pour toutes et c’est cette assurance qui rend si acceptable la philosophie de l’éradication et si tolérable le « Québec bashing » de tous les outrages. Ayons au moins l’intelligence de prendre un chemin où il ne nous attend pas, tout engoncé qu’il est dans le confort de sa ligne Maginot juridique.

  La construction d’un puissant mouvement d’émancipation ne se fera ni dans la tergiversation ni dans le quémandage. Le gouvernement paiera toujours le plein prix, que ce soit pour des demi-mesures ou des gestes courageusement assumés. Dans tous les cas, il devra affronter de puissants tirs de barrage idéologiques et des manœuvres de désinformation qui ne reculeront devant rien. Déjà que le scribe Pratte s’est fait l’émule de Stéphane Dion (« faites-les souffrir ») pour recommander la ligne dure à Ottawa (« M. Harper doit dire non », 8 septembre 2012) comme s’il fallait s’attendre à autre chose de la part des idéologues qui font carrière à nous enfoncer dans la minorisation. Ils la feront l’Union sacrée derrière le Canada, tous ces inconditionnels du déni de notre réalité nationale. Il faudra une riposte qui saura opposer la ruse à la force sournoise, prendre appui sur l’appartenance et la loyauté pour débusquer les imposteurs et les faux frères.

  C’est par ses actes et non par des discours contre lesquels le scepticisme a immunisé trop de gens que ce gouvernement pourra espérer recomposer les forces nécessaires au grand effort d’arrachement que constituera notre accession à l’indépendance. Le PQ dispose de ressources compétentes qui pourraient le faire. Il peut compter sur des forces vives actuellement dispersées autour de lui, mais réunies par l’idée d’indépendance pour le soutenir dans des gestes courageux dont il sera établi, sans équivoque, qu’ils servent l’intérêt national et nous font avancer sur le chemin de l’indépendance. Il faudra quitter le terrain de la politique des lamentations qui n’aura été qu’un avatar déprimé du messianisme qui avait conduit ce parti à attendre les conditions gagnantes. Il faut une politique nationale, des gestes qui incarnent et matérialisent l’esprit d’indépendance. 

Il faudra réapprendre à se battre.

SOURCE :  L'ACTION NATIONALE
 
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CETTE HISTOIRE QU'ON CACHE

Cette Histoire qu'on cache


Micheline Lachance
L'auteure est historienne et écrivaine.

La Presse et Le Devoir - 13 octobre 2012

Sacrilège! La ministre de l'Éducation, Marie Malavoy, a osé réclamer que les écoles secondaires fassent une plus large place à la question nationale dans les cours d'histoire. Du coup, l'armada libérale et caquiste s'est levée pour l'accuser de vouloir faire rentrer tous les petits Québécois dans la cage à homards souverainiste... Cette réaction démagogique a de quoi surprendre. N'est-ce pas exactement ce que les libéraux avaient entrepris: faire entrer les petits Québécois dans leur cage à homards fédéraliste?
Pendant des années, le gouvernement Charest a superbement ignoré les demandes répétées des professeurs d'histoire et des parents qui souhaitaient plus d'histoire du Québec afin que les élèves apprennent enfin d'où ils viennent.

Comme l'a souligné Mme Malavoy, depuis la réforme, l'enseignement de l'histoire met sur un pied d'égalité la question nationale et le féminisme, le capitalisme ou l'américanisme. Le mot d'ordre du gouvernement libéral - et je caricature à peine - était de proposer aux étudiants une histoire neutre pour ménager les susceptibilités; le Canada, c'est bien connu, ayant deux versions différentes de chaque événement marquant de son histoire. Par conséquent, il faut éviter d'aborder les aspects de notre passé qui créent des dissensions et enseigner plutôt une histoire «rassembleuse». On ne devait pas non plus insister sur nos échecs, car cela donne de notre histoire une image «misérabiliste». La rectitude politique dans toute sa splendeur!

J'aimerais qu'on m'explique pourquoi on enseigne sans état d'âme l'histoire des femmes, des noirs, des Amérindiens, des groupes ethniques - des récits tout aussi ponctués de défaites et d'humiliations -, alors qu'on escamote l'histoire du Québec commune à tous. Comme si les jeunes Québécois sur les bancs de nos écoles n'avaient pas de racines. Comme si les jeunes immigrants débarquaient sur une planète historiquement aseptisée, sans valeurs communes. Et après, on s'étonne qu'ils ne s'intègrent pas à leur société d'accueil.

Cela me désole qu'en 2012, on en soit encore à traiter de «nationaleux» ceux qui demandent qu'on enseigne l'histoire politique du Québec. Et cela m'enrage qu'on les soupçonne de vouloir fabriquer des petits souverainistes. Gommer des pans de l'histoire, n'est-ce pas aussi servir une cause? N'ayons pas peur des mots: nous avons assisté, sous les libéraux, à une tentative pour réécrire le passé en effaçant d'un trait les pages qui nous définissent comme peuple différent. Ce ne sont ni les enseignants ni les historiens qui ont inventé le passé. La déportation des Acadiens a réellement eu lieu. La défaite des Plaines d'Abraham aussi. Et les insurrections de 1837-1838 ont bel et bien entraîné des représailles aussi cruelles qu'injustifiées.

Les gouvernements et leurs fonctionnaires qui élaborent les programmes ne sont pas mandatés pour choisir ce qui fait leur affaire et jeter le reste. Les cours d'histoire doivent évoquer tous les faits historiques importants, parce que ceux-ci ont façonné la nation québécoise et qu'ils ont eu - et auront encore - des répercussions sur la suite des choses. N'est-ce pas le sociologue Fernand Dumont qui disait: «Il faut remonter le passé pour saisir le présent» ? Mais Dumont ajoutait: «Notre drame, c'est d'avoir oublié.»

Il est assez absurde qu'à l'heure où les médias et l'internet regorgent de reportages, d'éditoriaux et de débats faisant état des enjeux opposant souverainistes et fédéralistes, le seul lieu où l'on en fasse abstraction soit l'école. L'un des buts de l'éducation n'est-il pas de former des citoyens capables de prendre des décisions éclairées? La meilleure façon d'y arriver, c'est de dire la vérité, même si elle peut diviser l'opinion. Il est impérieux de fournir à l'étudiant sur le point de quitter l'école secondaire un bon coffre d'outils qui lui permettra d'exercer son droit de vote en connaissance de cause.

Source : Le DevoirLa Presse

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