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vendredi 14 septembre 2012

SABOTAGE DE NOS RÉALISATIONS


Le témoignage pathétique d'un scientifique, entrepreneur et créateur québécois qui démontre l'incroyable cafouillage du gouvernement Charest et des administrateurs d'Hydro-Québec qui nous a fait perdre une autre technique d'avant-garde qui aurait pu donner naissance à plusieurs entreprises de pointe au Québec...

Cela rappelle le cas du moteur-roue où nous étions rendu à l'étape de la création d'une industrie de l'automobile électrique. Voir : clic, clic, clic

Se pourrait-il que ce soit volontaire ? Une question très sérieuse. 

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Opinion d’un scientifique qui a contribué au leadership technologique du Québec pour les accumulateurs au lithium
MICHEL GAUTHIER

Le Devoir, 11 septembre 2012

L'auteur a travaillé à l’IREQ de 1972 à 1999 au développement des accumulateurs ACER En 2001, il a incorporé Phostech Lithium pour produire et vendre le phosphate de fer.
Il est chercheur invité à l'Université de Montréal depuis 2000 et professeur associé au département de génie chimique de l’École Polytechnique de Montréal depuis 2010 où il poursuit le développement d’un nouveau procédé de production de LiFeP04.
Les documents auxquels il est fait référence sont disponibles à : jmgauthier@videotron.ca.
Le coût de cette publication, retardé par Le Devoir durant la campagne électorale, est assumé par l'auteur et n’est aucunement lié à un parti politique.
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1.  Les dirigeants récents d’Hydro-Québec
     et le gouvernement ont trahi le rêve de René Lévesque

  Lorsque René Lévesque a nationalisé l’électricité, il a donné au Québec le contrôle d’une source d’énergie renouvelable qui a généré et générera encore des revenus de milliards de dollars pour des décennies. Ce faisant, il a également doté le Québec d’un outil de développement économique unique qui n’est pas étranger au succès de nos firmes d’ingénierie partout dans le monde.

  La nationalisation a également entraîné la création de l’IREQ (Institut de Recherche en Électricité du Québec), son centre de recherche, mis en place en 1970 dans la foulée des grands barrages tels que Manicouagan. L’IREQ est associé à de grands succès tels que les lignes de transport de l’électricité à 700 kV mais aussi à des mises en valeur plus problématique comme celle du Moteur-Roue du Dr Couture. Le développement des accumulateurs au lithium où le Québec a été un pionnier reconnu mondialement mérite un examen sérieux car, après 40 ans de recherche et développement (R&D), l’auteur conclut que les dirigeants d’Hydro-Québec n’ont pas su ou voulu, mener à terme des développements technologiques capables d’entraîner des développements industriels dans des secteurs d’avenir : stockage de l’énergie, transport électrique, production et exportation de produits à haute valeur ajoutée (les accumulateurs et leurs composantes) et même, à terme, la transformation secondaire de minerais abondants au Québec ( lithium, phosphates, fer...).

  De 1976 à 1999, la R&D sur d’accumulateurs au lithium fut un objectif corporatif à Hydro-Québec. Ce mode de stockage de l’électricité ouvrait la porte au remplacement du pétrole dans le transport et à l’amélioration de l’efficacité du réseau (réserve d’énergie et de puissance et stockage d’énergies intermittentes); des problèmes d’actualité dans un domaine où le Québec avait un atout créatif pour innover : l’hydro-électricité. Avec le soutien des dirigeants de l’époque, une expertise a été développée sur la technologie films-minces ACER, celle des Accumulateurs au lithium métallique à Électrolyte Polymère.

  En 20 ans, on a appris à transformer des lingots de lithium en kilomètres de feuillards minces, on appris à rendre conducteurs des films de plastiques (polymères + sels de lithium) et à en faire des piles électrochimiques en films minces jamais réalisées auparavant et, non le moindre, on a développé au Québec les procédés de fabrication des accumulateurs qui sont passés de cellules de laboratoire de 4 cm2 à des installations de 30 kWh installées dans un véhicule électrique.

  Ces développements ne se sont pas faits en vase clos. Grâce aux moyens et à l’engagement soutenu d’Hydro-Québec, des collaborations internationales ont pu être mises en place : avec le CNRS France à l’origine de la pile polymère film-minces, avec la pétrolière Elf-Aquitaine, avec la société Yuasa du Japon et finalement avec la société américaine 3M dans le cadre de contrats de ~120 M$ du Consortium américain USABC pour développer un accumulateur pour le véhicule électrique. Le résultat : en 1999, Hydro-Québec se retrouvait avec des équipes de plus de 140 chercheurs, techniciens et ingénieurs à l’IREQ, au LTEE et dans la filiale de production Argo Tech et surtout avec un savoir-faire et un portefeuille de brevets lui assurant un monopole sur la technologie.

  En 1999, André Caillé, alors PDG d’Hydro-Québec, s’est fait convaincre que le stockage de l’électricité par accumulateur n’était plus un objectif d’affaires et que la société n’avait plus à poursuivre de R&D corporative. Il ainsi provoqué le départ de l’équipe dirigeante du projet et la disparition de la R&D sur les accumulateurs. HQ vend alors la moitié de la technologie pour plus de 100M$ à L'Américaine Kerr-McGee; il s’ensuit une accélération forcée de la commercialisation qui conduit l’entreprise conjointe d’AVESTOR à la faillite après des investissements additionnels de plus de 200 M$. L’aventure se termine en 2006 par le rachat de la technologie pour une quinzaine de millions de $ par Bolloré France. Heureusement, ce dernier conserve la vision du véhicule électrique et décide de garder une partie de la production au Québec. Interrogé en 2010 par Radio-Canada sur la vente, le PDG d’Hydro-Québec Thierry Vandal, certainement mal conseillé, déclare alors que la technologie n’était plus prometteuse pour le véhicule électrique! Peu de temps après, Investissement Québec décide d’investir 16 M$ dans l’entreprise française pour la production à Boucherville d’accumulateurs pour véhicules électriques...

  Au moment où en 1999, Hydro-Québec décide de couper dans la R&D, un groupe de recherche à l’Université de Montréal (UdeM) découvre un procédé qui rend possible l’utilisation d’un matériau d’électrode révolutionnaire : le phosphate de fer et de lithium (LiFeP04) récemment breveté par l’Université du Texas (UT). Pour poursuivre leurs recherches, quelques chercheurs travaillant à UdeM créent en 2001 Phostech Lithium afin de développer et produire commercialement le matériau. Des accords de licences sont signés entre Phostech, UdeM/CNRS, HQ et UT pour obtenir de cette dernière en particulier les droits sur les accumulateurs au lithium-ion, le marché principal visé par Phostech. La licence de fabrication et vente du C-LiFeP04 accordée à Phostech est alors exclusive et inclut l’obligation de produire un tiers de la production mondiale au Québec (‘clause Québec’) ce qui garantissait au Québec un rôle majeur dans les nouvelles technologies du lithium.

  Après l'incorporation de Phostech, l’importance du C-LiFeP04 comme le matériau d’avenir pour les accumulateurs au lithium est enfin reconnue et divers groupes s’y intéressent. Une compagnie japonaise NTT ‘emprunte’ l’invention de l’Université du Texas et dépose un brevet au Japon. Université de Montréal/Phostech découvre le brevet et informe HQ et UT qui décident conjointement de poursuivre NTT pour rien de moins que 500M$ US.... D’autres sociétés américaines produisant en Chine brevètent les inventions ‘redécouvertes’ de UT et de UdeM, signe que les enjeux sont désormais énormes. L’effet de ces litiges est de retarder l’adoption du nouveau produit chez les utilisateurs et le développement du marché, particulièrement au Japon. Pour Phostech, il faut trouver des partenaires financiers solides. Après deux ans de négociations avec des partenaires internationaux : Mitsui, Umicore, A123... C’est la société allemande Süd-Chemie qui accepte d’investir et de s’installer au Canada, une demande de Phostech garantie par la ‘Clause Québec’. Süd-Chemie devient alors l’actionnaire unique de Phostech en 2008 après que la SGF (actionnaire au départ) ait renoncé à investir dans le projet d’usine pour des raisons demeurées inconnues. Phostech met en place deux usines : St-Bruno et Candiac avec une capacité de production de 3000 tonnes/an, équivalente à 10% du marché mondial de ce type d’électrodes positives.

En 2010, volte-face : les responsables d’Hydro-Québec décident que la propriété intellectuelle concentrée chez Phostech a une valeur commerciale plus grande que prévue, que la croissance du marché du LiFeP04 doit être accélérée, que Phostech ne développe pas le marché suffisamment vite et que ses produits sont de mauvaise qualité! En 2011, à la suite de pressions sur les autres copropriétaires des brevets licenciés et sur l'actionnaire de Phostech (alors contrôlé par le groupe financier JP Morgan), l’exclusivité de Phostech est levée et des accords de licences multiples (de 5 à 10%) sont annoncés générant des revenus de 50-60 M$ instantanément. 
Or, c’est dans un contexte d’exclusivité lui permettant d’exporter partout dans le monde que Phostech avait fait le choix d’un procédé de haute qualité mais exigeant des investissements coûteux (80M$). Avec la multiplication des licences, Phostech se retrouve prématurément en compétition avec des fabricants asiatiques dont les pratiques commerciales obéissent à des règles différentes, une situation que l’auteur, président-fondateur de Phostech, a dénoncée en 2010 car elle remettait en jeu l’avantage dont le Québec avait pu se doter pour produire et exporter des produits transformés. Depuis, malgré l’octroi de licences tous azimuts, le marché n’a pas explosé, par contre Phostech fait désormais face à une compétition féroce.

  C’est toute la percée technologique et le rôle de leader du Québec sur les accumulateurs au lithium qui ont été remis en cause par des décisions d’Hydro-Québec. La politique de R&D à Hydro-Québec, maintenant orientée vers la vente de licences, retournera le Québec dans la cour des petits. Aucune société privée ou publique ne peut raisonnablement espérer rentabiliser ses investissements en R&D par des ventes de licences; les brevets et le savoir-faire sont des outils de développement d’opportunités d’affaires, pas des opérations monétaires spéculatives. Le développement de la technologie ACEP représente à date des investissements de près d’un milliard de dollars (Gauthier, ACFAS 11 Mai, 2012). Qu’en est-il resté? Une dizaine de millions pour la vente de feu de la technologie Avestor. Heureusement que Bolloré a maintenu une partie de ses activités au Québec car le Québec n’est plus propriétaire de la technologie! Que représentent d’autre part les 50-60 M$ des licences reprises de Phostech, en regard de la mise en place d’usines de fabrication de phosphates découlant de la ‘Clause Québec’? Ne serait-il pas normal qu’Hydro-Québec rende compte de ses décisions et explique l’abandon de son rôle d’outil de développement technologique. 
 

2. Un gouvernement qui parle d’économie mais n’intervient pas.

  Après la vente à rabais des intérêts d’Hydro-Québec dans Avestor, cautionnée par son PDG, on aurait pu espérer que le gouvernement demande des comptes pour les centaines de millions de dollars d’argent public investis. Rien de la sorte ne s’est produit et il est difficile de dire si c’est par ignorance ou par aveu d’impuissance envers la société d’État.

  Dans le dossier Phostech, avec l’ouverture des droits exclusifs concédés à l’entreprise locale et surtout l’abandon de la ‘Clause Québec’, le gouvernement ne peut plaider l’ignorance. L’auteur de cette opinion, après avoir écrit personnellement en 2009 au PDG d’Hydro-Québec, Thierry Vandal, a écrit au ministre Béchard des Ressources naturelles (MRNF), au ministre Bachand du Développement Économique, de l’industrie, de l’innovation et de l’Exportation (MDEIIE) et même au premier ministre Charest pour expliquer les enjeux et l’importance de la ‘Clause Québec’ et leur demander d’exiger des explications de la société d’État. En 2010, après avoir démissionné de ses fonctions dans Phostech pour pouvoir exprimer son opinion, l’auteur a écrit de nouveau aux ministres Normandeau (MRNF) et Gignac (MDEIIE) avec copie à Jean Charest pour expliquer plus précisément les enjeux; de plus il a provoqué une rencontre non partisane avec la ministre Normandeau, avec l’appui du député de La Prairie à l’époque, pour suggérer des solutions qui respectent les intérêts du Québec. Il n’y a pas eu de suite.

  Après l’ouverture de l’exclusivité de Phostech en 2011 et les sorties publiques de l’auteur, le ministre Gignac a repris à son compte les arguments d’Hydro-Québec comme quoi plus d’une licence est nécessaire pour développer le marché (la licence exclusive de Phostech avait pourtant une clause prévoyant un second fournisseur!) et que selon lui d’autres usines viendraient sous peu s'installer au Québec pour fabriquer du phosphate et même des accumulateurs au phosphate de fer. Rien de tel ne s’est produit et maintenant Phostech (dans laquelle Investissement Québec a mis 8M$) subit une compétition implacable des autres licenciés dans un marché qui ne s’est pas accéléré pour autant et aucune usine additionnelle n’est en vue malgré les promesses faites pour justifier l’abolition de la ‘Clause Québec’.

  À la veille des élections, ce même gouvernement promettait un Plan Nord pour extraire des roches et les exporter comme moyen de relancer l’économie. Après 40 ans de R&D, la conclusion de l’auteur est celle d’un retour à la case départ dans un pays sous-développé. Le gouvernement sortant ne peut certainement pas nier sa responsabilité dans cette incroyable occasion ratée de se doter d’une nouvelle base industrielle. Il faut souhaiter que le nouveau parlement questionne les dirigeants d’Hydro-Québec sur les motifs de leurs décisions. Cela fait, l’auteur souhaite que les partis résistent à l’idée de réorganiser et de couper dans la société d’État simplement pour avoir l’air de changer quelque chose mais au contraire, y regardent de plus près pour comprendre comment la société a pu développer une technologie de classe internationale et comment s’assurer dans le futur que des improvisations de dernière minute ne viennent ruiner les investissements. Pour l'auteur, Hydro-Québec en plus de générer des profits pour les dépenses du gouvernement, doit, plus que jamais, assumer son rôle unique d’outil de développement technologique du Québec dans le domaine de l’énergie au sens large. On n’est plus à l’époque ou la recherche se faisait dans le fond d’un garage!

MICHEL GAUTHIER
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