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jeudi 1 avril 2010

1967 - UN HOMME LIBRE !




Voici un texte fondateur du Québec moderne, ouvert sur le monde et agissant par lui-même.

On y trouve en particulier les grandes lignes d'une politique étrangère du Québec.

François Aquin  -  Vive le Québec libre !
VIGILE.net - mardi 2 février 2010

FRANÇOIS AQUIN

François Aquin est député libéral de la circonscription de Dorion de 1966 à 1967, année où il rompt avec son parti, en désaccord avec la réaction négative de celui-ci au "Vive le Québec libre !" du général de Gaulle. Il officialise sa démission le 3 août 1967 à l’Assemblée nationale par un discours éloquent où il rappelle la nécessité de réaliser au plus tôt la libération nationale.

Ce jeune avocat devient ainsi le premier député à faire valoir la cause de l’indépendance au parlement de Québec. En novembre de la même année, il participera à la fondation du Mouvement souveraineté-association, qu’il quittera le 29 juillet 1968, l’option de René Lévesque ne lui paraissant pas assez radicale.

Vive le Québec libre !


1967 -

M. le Président : L’honorable député de Dorion
Question de privilège
M. François Aquin

M. Aquin :

Monsieur le Président, je me lève sur une question de privilège. Vendredi dernier, j’ai donné ma démission comme membre du groupe parlementaire libéral et comme membre du Parti libéral. Je n’ai pu, en conscience, approuver la déclaration du parti concernant le voyage du président de Gaulle sur la terre du Québec. Le voyage du président, les propos qu’il à tenus, la franchise avec laquelle il est allé au fond des choses constituent un événement historique et un pas en avant dans l’accomplissement de notre destin.


Après avoir connu l’occupation du conquérant, la tutelle de l’étranger et les trahisons de l’intérieur, le peuple québécois considère depuis quelques années que l’État du Québec est l’instrument unique de son progrès. À cet État québécois manque l’affirmation internationale, affirmation aussi vitale pour un peuple que l’est pour un homme le besoin de communiquer avec les autres. A cet État québécois manque la maturité d’un statut constitutionnel propre qui lui donnerait tous les outils nécessaires pour transformer sa situation dans le sens de l’humain et dans le sens de la liberté.

[...] Au cri de "Vive le Québec libre !", c’est de l’âme de tout un peuple opprimé et brimé qu’est montée soudainement comme une réponse l’acclamation triomphale du 24 juillet. Il devenait exorcisé, ce mot de liberté, qu’avant certains osaient à peine murmurer, ce mot de liberté qui appartient pourtant à l’humanité, qui appartient aux nations, qui appartient à l’homme.


Ce jour-là, le président a révélé le Québec à beaucoup de Québécois et il a révélé les Québécois au monde. La prise de conscience de notre situation ne peut que coïncider avec celle de tous ces autres peuples du tiers monde qui, eux aussi, marchent vers leur réalité. Il en est des peuples comme des individus. C’est en creusant leur propre liberté que peu à peu le chemin s’ouvre vers les autres. Le président de Gaulle, en consolidant l’unité culturelle de la francophonie, a plaidé depuis longtemps la cause d’un nationalisme moderne, nationalisme progressiste, ouvert et pacifique qui l’emportera un jour ou l’autre sur le nationalisme bourgeois, territorial et guerrier des puissances colonisatrices. Cette cause, il l’a de nouveau plaidée sur toutes les routes du Québec. Et notre peuple, dont on se plaît si souvent à nous dire qu’il est noyé dans une mer de 200 millions d’anglophones, notre peuple s’est tenu debout. Il n’a pas craint les remous, il n’a pas craint les ressacs.

Il a répondu avec enthousiasme au message de décolonisation. Évidemment, pour ceux qui détruisent un peuple au Viêt-nam et pour ceux qui les cautionnent dans le cadre de soi-disant accords militaires, pour ceux qui tuent à Aden et pour ceux qui les cautionnent dans le cadre du Commonwealth, pour ceux qui oppriment en Angola et pour ceux qui les cautionnent dans le cadre de l’OTAN, pour ceux que scandalise la soi-disant ingérence d’une parole fraternelle, mais qui préfèrent l’envoi d’armées ou la livraison d’armes, la présence même du général de Gaulle en Amérique était un reproche vivant et ses paroles devenaient inacceptables.


Monsieur le Président, je voulais dire à mes collègues comment j’ai vu, comment j’ai compris, comment j’ai senti au plus profond de mon être les événements que nous avons vécus et qui préfigurent de grandes choses pour notre destin au Québec et notre destinée dans le monde. La prise de conscience du peuple, comme peuple et comme peuple dans le monde, commande le respect de l’homme qui a apporté ici l’étincelle. Elle commande aussi notre solidarité à tous, bien au-dessus des frontières partisanes autour du chef de l’État du Québec.

Celui-ci, vendredi dernier, a été, je le dis, égal à la situation dramatique que nous vivons et il a agi comme un véritable chef d’État.


Vous comprendrez qu’il m’était impossible, dans l’optique de ce que j’ai dit, d’approuver la déclaration du parti de l’opposition. Reproche voilé mais direct au président de la République française, attaque partisane contre le chef de l’État du Québec, surenchère électorale, la déclaration dont je me suis dissocié avait de plus l’effet de cautionner le geste du gouvernement fédéral et de rassurer par le gel antidémocratique des options constitutionnelles du parti, de rassurer la réaction américaine et canadienne. La solidarité partisane, l’efficacité dans un parti, le souci d’une carrière individuelle sont des objections qui ne tiennent pas lorsque, dans l’histoire d’un homme, se pose la question fondamentale d’agir suivant tout ce qu’il est.

Je siège maintenant ici seul, libre de tous les partis mais l’heure approche où chaque homme libre au Québec devra aller au fond des choses et dire le fond de sa pensée. Jamais n’a été aussi pressante l’œuvre de la libération du Québec, prisonnier d’une constitution tombée en désuétude et qui, tout en étant une entrave pour nous, est devenue un tremplin pour le gouvernement du Canada. Abandonnons ces masques du statu quo que sont le changement de la Constitution canadienne et l’évolutionnisme conservateur du statut particulier. Ce n’est pas en points d’impôt que l’on bâtit le destin d’un peuple. Par-delà les arguties et les juristes et les experts fiscaux, au plus profond de lui-même, le Québec a choisi la liberté.


La liberté suppose que l’État du Québec possède en propre la totalité des pouvoirs essentiels à transformer radicalement sa situation économique, sociale et culturelle. Il y a plus d’un chemin vers la liberté, mais si l’incompréhension des communautés avec lesquelles nous sommes encore prêts à négocier d’égal à égal ne nous laissait d’autre option, demain il nous faudra choisir l’indépendance. Dans la construction de cette liberté, les structures économiques et sociales devront changer, devront transformer l’homme québécois et la femme québécoise, qui deviendront collectivement responsables de notre révolution dans la paix, dans la justice et dans l’amour.

Monsieur le Président, j’ai voulu expliquer les raisons particulières, mais aussi les motifs généraux qui m’ont amené à prendre une décision grave.


J’ai pensé au passé et au présent, mais surtout à l’avenir, car la vérité est dans l’avenir. Dans 25 ans, dans 50 ans, alors que depuis des décennies le Québec sera devenu une patrie libre, alors que, par-delà les sociétés colonisatrices révolues, il aura tendu la main aux autres territoires libres d’Amérique, d’Asie, d’Afrique et d’Europe, alors qu’il fera le poids de la mégalopolis française sur le sol des Amériques, des hommes et des femmes viendront dans cette enceinte et ils ne seront pas intéressés par les débats partisans que nous y avons tenus. À notre sujet, ils ne se poseront qu’une seule question : Est-ce que c’étaient des hommes libres ? Vive le Québec libre ! Monsieur le Président, je vous demande le privilège d’occuper un autre fauteuil dans cette enceinte.

Pour une politique étrangère du Québec

1968 -


De 1961 à 1968, le Québec a franchi des étapes dans son affirmation internationale. Par la volonté québécoise qui les a inspirées, ces étapes ont rendu, à toutes fins pratiques, intenable le statu quo constitutionnel. Sous peine de se nier elles-mêmes, elles appellent et forcent un progrès. Nos tenants de la "voie du milieu" constitutionnelle amènent comme solution une modification au BNAA qui permettrait au Québec de siéger dans les commissions internationales et de conclure des traités dans les limites de sa compétence. Cette proposition ne me semble pas réaliste. Le consentement nécessaire d’Ottawa et des neuf autres provinces à une telle modification constitutionnelle relève, à mon sens, de la pure fantaisie. De plus, la limitation de notre action internationale au champ de la compétence provinciale ne ferait que transposer à l’extérieur le morcellement des pouvoirs étatiques qui nous paralysent déjà à l’intérieur. Seule une transformation radicale de la situation québécoise peut donner un sens aux étapes déjà parcourues et permettre au Québec d’être présent au monde. La recherche d’une solution rationnelle assurant la présence québécoise dans le monde doit s’intégrer dans la recherche d’une solution globale aux problèmes et aux défis que rencontre le Québec. Dans pareille optique, seule l’indépendance politique du Québec et l’entreprise de sa décolonisation m’apparaissent la réponse des hommes et des femmes d’ici au défi primordial d’être au monde dans cette seconde partie du XXe siècle.

La nation québécoise constitue un fait qui n’a rien de commun avec le sentiment d’une vague appartenance à un coin de terre. Un peuple, une histoire de trois cent cinquante ans, des traditions communes, une langue commune, un poids culturel commun, un territoire, un appareil étatique, une conscience collective de notre situation et d’un destin à façonner ensemble, autant de facteurs qui vérifient la définition d’une nation véritable. Ne saurait tenir l’objection que l’appareil étatique québécois ne réunit pas l’éventail complet des compétences d’un État. Qu’Ottawa détienne une partie de notre souveraineté s’avère la conséquence historique d’une conquête militaire et de constitutions par la suite imposées. Le peuple du Québec n’a jamais consenti un partage des compétences. En ce sens, il n’est pas exagéré de parler d’une véritable occupation.


Un nation qui se distingue essentiellement des groupes franco-canadiens et franco-américains. À part la langue et certaines traditions, nous décelons avec ces groupes une solution de continuité nationale.

Une nation qui s ’oppose à la communauté anglophone des neuf autres provinces. Nous n’avons pas choisi cette opposition. Elle nous a été imposée. La communauté anglophone ne constitue pas une nation. La moitié des provinces canadiennes est déjà sociologiquement américanisée. Les différences ethniques et régionales constituent des forces de rupture qui marquent irrémédiablement l’avenir canadien. Nous sommes donc en face d’une communauté hétérogène qui n’a en commun que sa perpétuelle interrogation sur les aspirations des Québécois. What does Quebec want ?


Une nation française coupée pendant deux siècles de la France et de la francité. C’est dans cette séparation que le drame québécois prend sa source. Le Québec ne sera jamais totalement en Amérique du Nord. Il est d’ici, mais il est aussi d’ailleurs. Cette situation, en lui laissant un passé et un avenir, lui a ravi une bonne part de son présent. Pour vivre, le Québec doit se projeter vers l’avenir, se forger un destin qui lui soit propre, un destin français.

Une nation ouverte sur le monde. Le Québécois, comme tout citoyen du globe, vit à l’heure du monde. Les Québécois sont fiers de ce qu’ils ont accompli depuis quelques années. C’est par l’État qu’ils l’ont réussi. Ils en ont conscience. Il est indiscutable que la nation québécoise ait besoin d’un État pour continuer son progrès.


Tous les champs de la compétence étatique tendent aujourd’hui à se continuer dans la vie internationale. L’éducation, la culture, la recherche scientifique, la sécurité sociale, l’immigration, le travail, la santé, les ressources naturelles, les communications, etc., n’ont de sens que dans l’échange qui va du national à l’international, et de l’international au national. Il n’y a aucun doute que le Québec doit être représenté officiellement partout dans le monde, être présent aux commissions internationales, conclure les traités qu’exigent ses besoins et ses aspirations. De plus, la compétence exclusive du gouvernement fédéral en matière de relations internationales permet à Ottawa de confisquer à long terme des domaines qui ressortissent aux champs provinciaux. Cette dimension nouvelle presse l’heure du choix pour le Québec.

Nous avons noté que toutes les fonctions de la société, assumées ou devant être assumées par l’État, sont intimement reliées les unes aux autres et interdépendantes. Le politique est un système global. Nous devons donc admettre que cette vérité se transpose substantiellement sur le plan mondial. Le Québec doit posséder une politique globale dont le visage extérieur sera sa politique mondiale. Il serait utopique de croire à l’efficacité de notre action internationale dans le système actuel. Que vaudrait une entente culturelle québécoise avec un pays qu’Ottawa dénoncerait demain dans le cadre de sa politique étrangère ? À l’heure présente, la vassalité politique du Canada vis-à-vis les USA minimise et rend quasi impossibles nos relations avec le tiers monde. Le gouvernement québécois croit-il pouvoir siéger dans des commissions internationales sans prendre parti sur les grands débats qui ont une signification absolue de vie ou de mort pour l’humanité ? Une présence québécoise, à de pareilles conditions, n’aurait d’effet que de faire connaître aux nations un Québec en tutelle : le pays colonisé le plus riche du monde.


Si nous voulons une présence dans le monde, il nous faut relever le défi d’une politique mondiale autonome. C’est le prix de la maturité qu’il nous faudra payer. Si nous n’étions pas prêts, par hasard, à un tel sacrifice, il faudrait retourner le plus tôt possible dans le giron du gouvernement central avant que l’espace restreint qui nous y était réservé ne soit occupé par d’autres.

Le Québec est une nation qui doit s’ouvrir pleinement au champ des relations internationales. Quel est ce champ des relations internationales ? Faisant écho aux définitions modernes de la société internationale, Raymond Aron la décrivait récemment comme une société caractérisée par l’absence d’une instance qui détienne le monopole de la violence légitime. Manifestement, une telle société se construit pragmatiquement à travers le jeu des forces. Dès qu’apparaît un rapport constant de forces, celui-ci donne à la société mondiale une configuration nécessairement transitoire.


Pour certains, le monopole de forces entre les mains des USA semble une vérité irrécusable. Pour une autre école plus réaliste, mais traditionnelle, la force apparaît aux mains d’un duopole USA-URSS. La coexistence pacifique, l’entente sur la non-prolifération des armes nucléaires, l’inaction américaine lors de la répression de Budapest, l’intérêt de plus en plus théorique de I’URSS vis-à-vis de la décolonisation dans le monde, sont autant de signes de cette entente bilatérale consistant à se partager pacifiquement l’univers dans le cadre de zones d’influence préétablies. Dans cette perspective, l’affaire des missiles à Cuba pouvait s’interpréter comme une violation de l’entente et, comme telle, plaçait I’URSS dans une situation intenable. [...]

Les découvertes scientifiques, les systèmes modernes de télécommunications, la mobilité des hommes, la conscience commune des catastrophes thermonucléaires possibles, des ambitions exaltantes élargies aux dimensions d’une galaxie, ont commencé à bâtir une conscience collective de la société humaine. Cette insertion du Québécois dans le monde a rendu le Québécois réceptif aux influences mondiales et a accentué son désir d’y participer. Ainsi, les courants mondiaux de décolonisation ont-ils contribué à l’affirmation nationale du Québec. Sans aucun doute, l’exemplarité des révolutions algérienne, cubaine, congolaise a raffermi nos ressorts psychologiques. En contrepartie, l’affirmation nationale a provoqué le désir plus ou moins conscient, mais réel, de participer directement et immédiatement à la vie mondiale, sans passer par la médiation de la structure coloniale du gouvernement central. Dans cet échange vital, Ottawa est vite apparu comme un corps étranger, relent d’un passé d’humiliations.


D’ailleurs, ce désir s’inscrit dans les coordonnées de notre époque dominée par le double courant de la décolonisation et de l’universalisation. Pendant que la planète se réduit de plus en plus à la dimension d’une tribu, suivant le mot de McLuhan, les particularismes culturels s’affirment avec plus de vigueur et s’identifient dans des entités nationales. Cette dialectique des forces centrifuges et des forces centripètes apparaît comme la vérité première de notre présent et de notre avenir. La méconnaissance de cette vérité mènerait l’humanité à sa fin biologique et culturelle. La volonté d’enracinement de l’homme moderne plonge dans l’histoire la plus ancienne. Ainsi, la révolution mexicaine a tenté de renouer avec la civilisation aztèque. Le régime de Nasser dit remonter aux pharaons dans son inspiration égyptienne. Le pouvoir noir aux USA distribue à ses membres des cartes X pour indiquer que le vrai nom de famille africain est inconnu. Une fierté est née aux hommes. Une fierté est née aux hommes de couleur, aux faibles, aux opprimés.

Claude Lévi-Strauss a démontré dans Race et Histoire que ce renforcement des particularismes culturels n’est pas une réaction négative, mais la condition même de la survie culturelle et biologique de la race humaine. L’homogénéisation de l’humanité mènerait, à toutes fins pratiques, au suicide collectif. L’humanité devra donc vivre en acceptant ces deux pôles : affirmation des particularismes culturels, universalisme. Le Québec est lui-même entré dans cette dialectique vitale fondamentale : il veut être québécois, il veut être présent dans le monde.


L’affirmation nationale du Québec a coïncidé avec son affirmation étatique. L’État est apparu comme le seul levier de notre affirmation. L’extension du champ politique à l’ensemble du champ social nous a fait réaliser l’unité nécessaire de l’appareil étatique. En effet, les fonctions éducationnelles, culturelles et économiques de la société ont été progressivement et inégalement assumées par l’État. Seule la fonction économique continue sa croissance anarchique sans contrôle étatique rationnel. Il nous est apparu alors qu’un contrôle étatique maintenu à un double niveau fédéral et provincial créait à l’intérieur même de l’État un morcellement, un mécanisme concurrentiel et reproduisait une structure coloniale.

Pour le Québec, se choisir équivaut à se choisir dans ce monde tourmenté, inquiet, livré aux contradictions fondamentales que sont la vie et la mort, l’opulence et la misère, l’oppression et la liberté.


Un Québec indépendant devra se donner une politique mondiale globale intégrant les impératifs de ses aspirations et de ses intérêts, mais aussi ceux d’une vision du monde qui lui soit propre et d’une éthique de la liberté.

Le Québec ne peut se replier sur lui-même. Toute tentative d’autarcie équivaudrait à un véritable suicide. Le Québec doit intensifier ses relations avec les pays économiquement développés. Cependant, s’il veut acquérir la liberté de manœuvre nécessaire à l’élaboration d’une véritable politique étrangère, il devra concentrer ses efforts sur la diversification de ses relations avec le plus de pays possible. Il est faux de croire que le voisinage américain condamne nos relations internationales au fixisme actuel. Le voisinage géographique n’est sûrement plus économiquement un déterminisme absolu, s’il en fût jamais un.


De plus, le Québec peut devenir un ferment dans la construction véritable de la francité. Au-delà d’une communauté culturelle, la conscience collective de certaines grandes valeurs humaines amènera probablement la francité à jouer dans l’avenir un rôle distinct dans le champ du politique international. Un Québec français se dégageant de ses structures coloniales, s’affirmant comme un pays libre, possédant les structures économiques et technologiques d’un pays développé, peut présenter une synthèse vraiment nouvelle et originale. Ainsi la France et le Québec peuvent devenir les deux pôles d’affirmation du monde francophone.

Le Québec doit de toute évidence établir des relations internationales avec les pays du tiers monde. Il doit les intensifier le plus possible. Il n’y a aucun doute qu’une telle politique est la condition même de notre insertion dans la réalité mondiale et la garantie d’une véritable indépendance.


Le Québec se nierait lui-même s’il ne s’engageait pas dans une politique de paix dont la dynamique serait fondée sur la liberté des peuples et la coopération entre les peuples. Endosser le mouvement de la décolonisation, pratiquer la coopération, appuyer les revendications du tiers monde, se trouver partout du côté de la liberté contre l’agresseur, ne serait-ce pas l’avenir grandiose de ce peuple au sortir de deux siècles d’humiliations et le moyen pour lui de renouer avec le dynamisme historique qui a déjà été le sien ?

Le Québec nous est apparu une nation authentique. Agissant dynamiquement à l’intérieur et commençant de s’affirmer à l’extérieur, dans les compétences du demi-État que l’histoire lui a laissées, le Québec désire simultanément élargir son action à celle d’un État souverain et la dépasser dans le champ mondial où se joue en définitive le destin de l’homme. Ainsi, la dynamique interne globalisante du politique nous amène à intégrer dans le projet d’une indépendance d’ici, une vision du monde qui assigne comme but au politique le bonheur de l’homme.


Reprenant le mot de Saint-Just sur l’Europe, nous pourrions dire : Maintenant, le bonheur est une idée nouvelle dans le monde. Dans un monde qui, à travers les déchirements, les dangers et les menaces, tente tragiquement de retrouver l’unité, la liberté, la justice, l’amour. Le Québec aura-t-il l’audace de participer pour sa part à l’effort prométhéen qui le sollicite ? Il y a pour nous un pari à faire sur l’avenir. Le refus d’un tel pari nous obligerait à nous nier nous-mêmes.
L’accepter, c’est nous décider à aller jusqu’au bout de nous-mêmes.
L’indépendance est indissociable d’un appel à la grandeur.
La grandeur c’est de choisir toujours et partout, pour soi et pour les autres, la LIBERTÉ.

Sources : « Vive le Québec libre !», Débats de l’Assemblée législative du Québec - session 1966-67, vol. V, n° 98, p. 4995.

« Pour une politique étrangère du Québec », Liberté, vol. X, n° 2, mars avril 1968, p. 25-32.
Source récente :  VIGILE.net
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LE DEVOIR  -  1910-2010
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DEMAIN – Hymne au Québec
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mardi 30 mars 2010

MESURES BUDGÉTAIRES URGENTES


Dans le magazine L'Actualité, on posait récemment la question suivante :

Jeu du budget : et si vous étiez ministre des Finances ?

par Marie-Eve Cousineau et Jonathan Trudel  - 23 Février 2010

Comment équilibrer le budget du Québec ? Le débat fait rage dans Internet. L’actualité offre aux internautes un outil pour assainir eux-mêmes les finances publiques !

Voici la réponse que j'ai transmise le 30 mars 2010...


Un gouvernement québécois et républicain, c'est-à-dire représentant la volonté profonde du peuple, adopterait IMMÉDIATEMENT les mesures suivantes :

  • Intensification des mesures visant à réduire radicalement l'évasion fiscale et à récupérer les sommes ainsi perdues - Plusieurs centaines de millions de $/année à récupérer;

  • Application ferme de la loi sur les redevances minières - Plusieurs centaines de millions de $/année à récupérer. On sait depuis les révélations du vérificateur général du Québec au printemps 2009 que l'État du Québec DÉPENSE PLUTÔT des dizaines de millions de $/année pour assurer les profits des compagnies minières qui ne payent pas de redevances;

  • Nationalisation de toutes les centrales hydroélectriques du Québec, y compris les mini-centrales : Hydro-Québec doit posséder et gérer toutes les ressources électriques du Québec, notre trésor national - Présentement, des compagnies telles que Rio Tinto (anciennement Alcan) vendent à fort profit de l'électricité à Hydro-Québec - Des dizaines et des dizaines de millions de $/année à récupérer;

  • Prise en main et rationalisation par Hydro-Québec de la gestion et de toute la production de l'énergie éolienne - Ouverture des contrats de 20 ans existants (secrets) avec des petites entreprises qui se contenteraient d'engranger les profits sans assumer les risques - Plusieurs dizaines de millions de $/année à récupérer tout en développant une expertise de premier plan dans le domaine favorisant la recherche sur les éoliennes et la FABRICATION des diverses parties des éoliennes au Québec. Cette mesure pourrait avoir un fort impact positif sur la formation de nouvelles entreprises industrielles et la création d'emplois intéressants et bien payés;

  • Corollaire : imposition de beaucoup plus de RIGUEUR et de COMPÉTENCE dans la direction et le fonctionnement d'Hydro-Québec;

  • Unification des deux projets de Centre hospitalier universitaire (C.H.U.) à Montréal - Un seul C.H.U. de langue française intégrant les chercheurs de l'U. de Montréal et de l'U. McGill - Économie d'environ 3 milliards de $ en 5 ans (http://unseulmegachu.org/);

  • Instauration du salaire pour les médecins du service public de santé;

  • Pour plus de justice, établissement d'au moins 6 paliers de taux d'impôt sur le revenu;

  • Pour plus de justice, établissement d'un taux de taxation progressif sur les produits et services. Par exemple, de 0 à 100% variant de façon CONTINUE selon les groupes de produits. Ainsi, une petite voiture économique neuve de 12000$ pourrait être taxée à 3%, et une grosse voiture de luxe ou un V.U.S. de 80000$ pourrait l'être à 80%. Un bijou de 50$ pourrait être taxé à 9% et un de 1000$ l'être à 80%. Un manteau de fourrure véritable : 100%, etc.

  • Maintien et rationalisation des frais de scolarité dans les universités. On pourrait même les abolir complètement comme c'est le cas dans les pays scandinaves qui ont les plus hauts niveaux de vie et de compétitivité au monde;

  • Abolition des subvention à toutes les écoles privées, sauf à celles désignées d'utilité public du fait qu'elles fournissent un type d'enseignement qui n'est pas offert dans un établissement public de la région et dont la  qualité est reconnue par un comité d'experts - Plusieurs centaines de millions de $/année seront ainsi économisés;

  • Les sommes économisées par la précédente mesure seront reportées sur une sérieuse amélioration du réseau des écoles, collèges et universités : meilleur choix d'écoles, meilleure qualité des enseignants et de l'enseignement, valorisation de la profession d'enseignant et de professeur.

  • Il serait normal que les salaires de ces derniers se comparent à ceux des médecins et autres professionnels du service public car l'éducation des futures générations est un impératif au même titre que la santé pour le bien-être et la prospérité des générations futures - Cela impose que la sélection et la formation des enseignants soit d'un niveau au moins aussi élevé que celles des médecins. Dans un cas comme dans l'autre, il est tout à fait inacceptable qu'un professionnel ne sache pas écrire et parler correctement sa langue, le français ;

  • L'adoption de la mesure précédente aurait un impact positif sur le terrible problème du décrochage scolaire, car la plupart des décrocheurs sont des jeunes gens qui ont besoin de défis posés par des MAITRES compétents et inventifs qui sont valorisés dans leur milieu et traités comme des professionnels;

  • Etc., etc.
Lesquelles pourrait-on ajouter ?

N'est-il pas évident que l'application de ces mesures permettrait de réduire le déficit d'une couple de milliards de $ dès la première année ? Laissons aux économistes le soin de chiffrer plus exactement cette économie.

N'est-il pas évident qu'avec le budget que vient de déposer le ministre des finances du gouvernement de J.J. Charest aucun problème de fond ne sera réglé car on ne corrige aucunement les causes du cul-de-sac actuel qui conduit à la ruine ?


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LE DEVOIR  -  1910-2010
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DEMAIN – Hymne au Québec
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L'ÉCRABOUILLEMENT



LE PATRIOTE  -  Volume 9 - N°4 - novembre 2009 –
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
AU SERVICE DE LA NATION
 

SCRUNTCH…

 

par Yves Beauchemin, écrivain

 

C'est le mot qui résume le mieux à mon avis l'attitude de la Cour suprême du Canada à l'égard du français au Québec. Un « scruntch » lent et méthodique, qui prend soin de conserver les apparences de la civilité et d'une sage modération, mais dont le but ultime semble être l'écrabouillement final de notre langue et de notre culture. « Kill them with kindness », disent les Anglais.
Le 22 octobre dernier, alors que tous les regards étaient tournés vers l'avalanche de boue qui déferlait sur Montréal, nos bons juges d'Ottawa invalidaient la Loi 104. Si on comprend bien le texte du jugement (mais pourra-t-on jamais le comprendre ?), des élèves francophones et allophones qui n'en avaient pas le droit, pourront désormais passer au réseau scolaire anglais après avoir fréquenté une école anglaise non subventionnée, dite « école-passerelle », pourvu qu'ils remplissent certaines mystérieuses conditions qui tiennent davantage des sciences occultes que de la science juridique.
Ce texte alambiqué et filandreux, agrémenté de quelques anglicismes et impropriétés de termes, ergote pendant 51 articles en brassant des notions confuses (analyse subjective », parcours scolaire « authentique », évaluation « qualitative », etc.) qui obscurcissent les choses au lieu de les éclaircir. Une affirmation généreuse est annulée trois pages plus loin par un sous-entendu qui va dans le sens contraire. Il se dégage du jugement un vague relent d'hypocrisie. Pauvre gouvernement québécois qui devra lui-même tout décortiquer! Et c'est la Cour qui décidera ensuite si on l'a bien comprise!

Les juges appuient leur décision sur la constitution canadienne de 1982. Ils ne manquent pas de culot. Aucun premier ministre du Québec, en effet, peu importe son allégeance politique, n'a accepté de signer cette constitution instaurée par Ottawa sans notre accord. Cela enlève au jugement, comme à tous ceux de même nature qui l'ont précédé depuis 1982, toute légitimité.
La décision de la Cour suprême est signée par un Québécois, Louis LeBel. C'est très habile. Ce jugement ordonne à Québec de charcuter lui-même sa loi, de façon à ce qu'il en porte l'odieux plutôt qu'Ottawa. C'est aussi très habile. La cour accorde un an à notre gouvernement pour accomplir sa besogne : les esprits auront le temps de se calmer. C'est suprêmement habile.
Mais habileté ou pas, la Loi 104 a été votée à l'unanimité en 2002 par l'Assemblée nationale; chacun de ses députés avait été dûment élu par le peuple. Les juges de la Cour suprême, eux, sont nommés par le seul gouvernement fédéral et ne doivent aucun compte à la population.
Ils sont au nombre de sept : cinq an­glophones et deux francophones. Même s'ils provenaient tous du Québec, cela ne nous serait guère utile, car chacun d'eux est choisi par le premier ministre du Canada en fonction de son orientation politique et sociale - le premier ministre d'un pays majoritairement anglophone qui ne pourrait pas rester au pouvoir sans être un farouche défenseur de l'unité canadienne. 

Dés pipés. Partie inégale.
L’affaire est d'autant plus grotesque que le premier ministre Harper a reconnu lui­-même que le Québec formait une nation. Le Canada, si je ne m'abuse, forme donc l'autre. Par conséquent, avec ce jugement contre la Loi 104, c'est une nation qui impose sa volonté à une autre - et sur un sujet qui concerne vitalement cette dernière. Un peu comme si la Cour suprême des États-Unis invalidait une loi mexicaine!
Ce jugement favorise un réseau scolaire anglophone qui attire plus que sa part normale d'étudiants et aggravera la précarité du français à Montréal. Or, si le français perd à Montréal, le Québec perdra le français.
L’article 42 du jugement mérite qu'on s'y arrête. Le juge écrit : « Selon la preuve, le nombre d'enfants pouvant se faire admettre dans le réseau public anglophone après un passage dans une EPNS (école privée non subventionnée) reste relativement faible, bien qu'il semble augmenter graduellement. Par exemple, pour l'année scolaire 2001­2002, [ ... J, un peu plus de 2 100 élèves inscrits dans les EPNS anglaises [ ... ] ne détenaient pas de certificat d'admissibilité à l'enseignement en anglais. [ ... ] ce nombre s'est accru. En effet, le nombre d'écoliers fréquentant une EPNS anglaise sans détenir de certificat d'admissibilité dépassait 4000 pour l'année scolaire 2007-2008. Malgré cette augmentation, les effectifs en cause demeurent relativement faibles [ ... ] ».
Deux remarques: (1) en cinq ans, le nombre de ces élèves illégaux avait quand même presque doublé; (2) avec cette nouvelle brèche qu'on ouvre dans la Loi 101, il ne pourra qu'augmenter encore davantage!
Nos adversaires tentent de nous rassurer. Les frais de scolarité de ces écoles non subventionnées sont si élevés, disent-ils, - plus de 15 000 $ par année - que seuls les parents riches pourront y envoyer leurs enfants.Vive la démocratie!
Mais gageons que de généreuses fondations apparaîtront comme par magie qui subventionneront à tour de bras ces écoles-passerelles afin d'abaisser leurs frais de scolarité et leur permettre ainsi d'accueillir encore plus d'étudiants. Peut-être même - sait-on jamais? - que le fédéral financera lui-même une de ces fondations... Alors le Québec, furieux, ira de nouveau parader naïvement devant la Cour suprême. Je pourrais quasiment écrire le jugement à sa place.
Ottawa sait depuis longtemps que l'autonomie linguistique peut mener à l'autre, la politique. Horreur ! Le Canada doit demeurer uni à tout prix, quitte à ce que notre langue s'étiole, puis disparaisse. Unity ftrst ! Voilà pourquoi on grignote sans arrêt notre Loi 101 tout en prenant soin de nous adresser de gentils sourires. Depuis 1980, on lui a imposé plus de 200 modifications, tous des affaiblissements. Bientôt il n'en restera plus que des débris symboliques.
Mais un fait demeure: la Loi 101, même si elle origine d'un gouvernement indépendantiste, a été conçue comme une tentative de vivre en français à l'intérieur du Canada. Aucun de ses articles ne visait à l'indépendance.
C'était une loi démocratique et populaire, qui défendait les intérêts de la majorité en respectant ceux de la minorité. Par le long travail de sape qu'il lui a fait subir, le Canada nous fait lui-même la démonstration que les Québécois ne peuvent espérer vivre dans leur langue à l'intérieur de ce pays, même s'ils sont majoritaires sur leur territoire.
Le temps est venu de réagir à l'insolence de ce qui est devenu une dictature judiciaire derrière laquelle se cachent des politiciens peu sympathiques à notre égard. Je ne prêche pas la révolution mais la mobilisation. Il faut expliquer aux Québécois les conséquences tragiques d'un effondrement du français. Le Québec doit faire fi de cette décision perfide présentée sur un coussin de velours. Qu'Ottawa, s'il le juge bon, vienne la faire appliquer lui-même chez nous. Alors, tout deviendra plus clair.
Comme il fallait s'y attendre, Jean Charest a décidé de courber la tête devant les directives de cette Cour suprême insensible au sort de notre langue. C'est inacceptable. Et c'est navrant. •••

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LE DEVOIR  -  1910-2010
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DEMAIN – Hymne au Québec
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lundi 29 mars 2010

LA RÉCIPROCITÉ ESSENTIELLE...


Les francophones du Canada:
un cas de nécessaire réciprocité

Jean-Luc DION, ing.
Université du Québec à Trois-Rivières

Article publié dans L’ACTION NATIONALE, volume 81, n˚ 4, avril 1991

AVANT-PROPOS
Le texte suivant a été écrit en 1991. C'est un essai où, dans la perspective de l'accession du Québec à l'indépendance, sont faites quelques propositions de mesures de renforcement des liens et des échanges entre la République du Québec et les minorités de langue française du Canada et d'ailleurs en Amérique. L'hypothèse admise était possible dans un esprit de réciprocité mise en œuvre avec de la bonne volonté...
Nous croyons que cela est toujours possible si les Québécois de langue française décident finalement de ne pas disparaitre dans l'insignifiance et de prendre vigoureusement toutes leurs affaires en main.
Résumé

Le professeur Dion formule des propositions concrètes pour établir des relations harmonieuses et permanentes avec les francophones hors Québec. Il réclame un traitement de réciprocité pour la minorité française établie au Canada anglais et pour la minorité britannique du Québec. Ces minorités jouiraient de la double nationalité et de divers droits et avantages.

Des modalités d’applications sont suggérées pour améliorer le système d’enseignement et les services de la télévision et de la radio. L‘auteur recommande au gouvernement d’appliquer diverses mesures d’ordre politique, culturel et économique. Il croit qu’un Québec indépendant “pourra désormais assumer pleinement son rôle historique en Amérique du Nord”.

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Dans peu de temps (Note : ce sera en 1995...), les Québécois auront choisi leur « chemin de l’avenir » qui passe logiquement et nécessairement par le plein exercice de leur souveraineté. Il n’y a rien là que de parfaitement normal. Entre-temps, les adversaires de l’affirmation québécoise vont répéter ad nauseam les mêmes rengaines usées que depuis des décennies. Ils vont même recourir au chantage pour tenter de maintenir le pays sous la gouverne canadienne. Un des arguments fallacieux que les fédéralistes affectionnent est celui de l’«abandon» des minorités francophones du Canada: comme si le sort que leur avait fait le Canada était tellement enviable, avec des taux d’assimilation atteignant 70%! Le rare groupe qui manifeste une vigueur remarquable est le peuple acadien dont la solidarité légendaire a permis la survivance, essentiellement au Nouveau-Brunswick, malgré les conditions faites par le système canadien. La minorité ontarienne est certes importante, mais ne peut guère vivre sa culture, dispersée comme elle est, avec des moyens culturels généralement faibles.

Or, pour les partisans du Québec souverain, il n’a jamais été question d’abandonner nos compatriotes minoritaires du Canada. J’ai toujours pensé qu’il serait lâche de se désintéresser du sort de ces communautés qui doivent constituer des pôles de rayonnement de la culture française et québécoise, dans la mesure où nous leur en donnerons les moyens. D’autre part, il faut bien dire que le Québec constitue en quelque sorte l’ultime port d’attache nord-américain pour les francophones qui tiennent à conserver et faire vivre leur culture. Il faut donc envisager d’une façon concrète, et enfin sérieuse, les moyens de soutenir ceux des francophones du Canada, et même d’ailleurs en Amérique, qui admettent l’importance vitale d’un rattachement culturel et polyvalent au Québec. Il faut bien dire qu’une minorité culturelle qui ne se rattache à aucune “métropole” voit sa raison d’être singulièrement réduite.

Dans son éditorial du 26 novembre 1990, madame Lige Bissonnette, directrice du Devoir, a placé le problème dans une bonne perspective. Elle a fait allusion aux nécessaires ententes Québec-Canada pour raffermir les liens entre les Québécois et leurs frères de l’extérieur, quelle que soit notre décision collective, mais sans proposer de moyens concrets.

POUR UNE RÉCIPROCITÉ CONCRÈTE ET JUSTICE

Je voudrais ici proposer ce qui me semble un moyen concret, et peut-être dans son essentiel le seul véritable, de solutionner ce problème. Problème qui se pose également et se posera certainement avec autant d’acuité pour les anglophones du Québec indépendant. Il s’agit d’une solution de justice, de réciprocité et de respect mutuel:
trois termes qu’on doit considérer d’une égale importance, quand il s’agit de la communauté francophone du Canada et de la communauté anglophone du Québec.

En bref, pour resserrer les liens et assurer un traitement équitable des minorités locales, il s’agit d’offrir à la minorité francophone du Canada la nationalité québécoise, et à la minorité anglophone du Québec la nationalité canadienne, en plus de la leur. Ce seraient les minorités désignées. Cela implique un certain nombre de règles précises dont l’observance doit assurer l’harmonie des relations Québec-Canada dans ce domaine.

Cette proposition est faite dans une perspective d’harmonie et d’échanges mutuellement profitables et soutenus entre les deux pays. Les divers énoncés qui suivent visent à exprimer l’essentiel de la proposition, sans entrer dans les détails d’application qu’il faudra préciser le cas échéant. La question amérindienne doit être traitée distinctement.

LA DOUBLE NATIONALITÉ

On présume que le Québec aura auparavant offert aux minorités francophones du Canada d’excellentes conditions d’immigration. Il devrait en être sensiblement de même pour la minorité anglophone du Québec. Mais on peut prédire qu’un nombre relativement faible s’en prévaudra, dans la mesure où l’on aura de part et d’autre un comportement civilisé. Voici maintenant les grandes lignes du système de double nationalité.

1˚ Au moment où le Québec et le Canada parviennent au statut d’États distincts, il est offert simultanément aux membres de la minorité francophone du Canada et de la minorité anglophone du Québec nés dans l’un ou l’autre pays d’avoir la citoyenneté des deux pays.

2˚ La proportion de citoyens québécois et de citoyens canadiens ayant la double nationalité doit en tout temps être la même, a quelques centaines ou quelques milliers d’individus près, et ne pourra jamais dépasser 10% (ou une valeur voisine) de la population de l’un ou de l’autre pays. Il est d’importance capitale que cette proportion soit inscrite dans la constitution de chaque pays pour éviter des querelles et contestations interminables.

3˚ Le statut de l’une ou de l’autre minorité linguistique ayant la double nationalité doit être défini de façon identique dans la constitution des deux pays et ses droits concrets assurés d’une façon démontrable dans les faits.

4˚ Cette double citoyenneté doit assurer des avantages et des obligations de diverses natures qui soient tout à fait comparables dans les deux pays: mêmes proportions d’écoles et d’universités, de stations de radio et de télévision et autres installations culturelles, etc.

5˚ Chaque pays assume constitutionnellement les frais des services offerts à sa minorité désignée: enseignement, distribution des signaux de radio et de télévision, etc.

6˚ Les deux pays organisent conjointement des programmes de bourse d’études et d’échanges permanents d’étudiants, de travailleurs, etc., dont les contingents sont formés en moyenne de 33% de membres de la minorité désignée, par exemple.

7˚ La première allégeance d’un citoyen ayant la double nationalité doit être au pays dans lequel il vit habituellement. Chaque pays doit avoir naturellement des attitudes et des politiques qui évitent de placer ces citoyens en situation de conflit d’intérêt ou d’allégeance.

Ces arrangements particuliers entre les deux pays doivent être considérés comme des facteurs de paix et d’harmonie.

De plus, considérant le fait qu’il y a aux États-Unis plus de 10 millions de descendants de Québécois, le Québec devrait également offrir la citoyenneté québécoise à ceux qui en feraient la demande en pouvant prouver leur origine.

QUELQUES MODALITÉS D’APPLICATION

Comité paritaire permanent

Dans tous les cas, la quantité et la qualité des services offerts aux deux minorités doivent être comparables. Afin de veiller à l’application équitable de l’accord passé entre les deux pays, on formera un comité paritaire permanent constitué de sept membres, dont un président. Ce dernier serait alternativement un Canadien et un Québécois désigné par son gouvernement, avec un mandat renouvelable aux deux ans. Chaque pays nomme trois membres dont deux de la minorité désignée et un de l’Assemblée nationale du Québec ou de la Chambre des communes du Canada, nommés annuellement pour deux ans, avec mandat renouvelable une fois. Le rapport annuel du comité est étudié par ces derniers organismes qui y donnent suite. Le comité se réunit alternativement dans l’un et l’autre pays. Le financement du comité est assuré par chaque gouvernement en proportion de sa minorité désignée.

Système d’enseignement

— Chaque minorité désignée doit avoir des institutions d’enseignement dans sa langue à tous les niveaux, en nombres proportionnels à son importance respective et doit en avoir le contrôle, en conformité avec les lois du pays.

— Le financement de ces institutions par chaque pays doit être le même que pour les institutions de ses citoyens “réguliers”.

— Les programmes d’enseignement dans les institutions des minorités désignées doivent être harmonisées aux programmes de la majorité, sans en dépendre entièrement.

— La langue de la majorité doit être un sujet d’enseignement obligatoire et de qualité, à compter de la première année du cours primaire, jusqu’à la fin du cours secondaire.

— Il faudra faire en sorte que la minorité désignée joue un rôle privilégié dans l’enseignement de sa langue et son rayonnement culturel dans les institutions de la majorité.

Services culturels  -o-  Radio et télévision

— Les membres des minorités désignées doivent disposer d’un nombre de stations de radio et de télévision proportionnel à leur importance numérique, installés dans les régions où ces minorités les requièrent.

— Le soutien financier de chaque pays au développement du réseau de radio et de télévision de sa minorité désignée doit être comparable en proportion à celui qu’il donne à ses réseaux nationaux.

— Les diverses chaînes nationales de radio et de télévision d’un pays doivent être normalement accessibles dans l’autre, par la coopération des réseaux des deux pays.

— La transmission des signaux de radio et de télévision destinés à la minorité désignée de chaque pays est assurée gratuitement par ce dernier, ou selon d’autres modalités négociées.

PARTICULARITÉS DU SOUTIEN QUÉBÉCOIS

Diverses autres mesures concrètes devraient être mises en vigueur par l’État québécois.

Au plan politique

— Deux sièges d’observateurs avec droit de parole seront réservés à l’Assemblée nationale du Québec à des représentants élus de la communauté québécoise et francophone du Canada, ainsi que des États-Unis, le cas échéant’. Ils pourront normalement participer à tous les travaux de l’Assemblée nationale. Les modalités d’élection seront à définir.

— L’Assemblée nationale du Québec convoquera une commission parlementaire annuelle sur l’état des communautés québécoises et francophones nord-américaines. Ses travaux pourraient être coordonnés par une “direction permanente des relations avec les communautés francophones”2.

— Les réseaux de radio-télévision et les journaux québécois maintiendront des correspondants permanents dans tous les principaux centres de concentration de la minorité québécoise au Canada.

1. Une proposition semblable figure dans le mémoire présenté par le Conseil de la Vie Française en Amérique à la Commission Bélanger-Campeau en novembre
1990.

2. Ibid.

Au plan culturel

— Le Québec maintiendra un programme permanent de subvention et de soutien à la diffusion au Canada des publications québécoises (journaux, revues, disques, etc.). La communauté québécoise du Canada sera appelée à jouer un rôle privilégié dans ce domaine. Inversement, ce programme devra favoriser la diffusion au Québec des productions culturelles de cette communauté.

— Les réseaux de radio-télévision et les journaux québécois maintiendront des correspondants permanents dans tous les principaux centres de concentration de la minorité québécoise au Canada.

— Le Québec apportera un soutien technique et financier aux productions radio-télévision de la minorité québécoise du Canada et à leur diffusion, tant au Canada qu’au Québec.

— Le Québec maintiendra des programmes réguliers permettant des séjours prolongés d’études et de travail au Québec destinés aux membres de la communauté québécoise du Canada, tout particulièrement les jeunes. Un volet de ces programmes pourra s’adresser aux autres communautés francophones d’Amérique.

Au plan des relations économiques

— Les membres de la communauté québécoise du Canada pourront jouer un rôle d’intermédiaires privilégiés dans nos relations avec le Canada, particulièrement dans le domaine des relations économiques.

— On doit considérer les hommes d’affaires de la communauté québécoise au Canada comme les mieux placés, tant pour assurer la distribution des produits québécois que pour régler des échanges mutuellement profitables entre les deux pays.

Conclusion

Avec son accession à l’indépendance, le Québec pourra désormais assumer pleinement son rôle historique en Amérique du Nord.
Ayant les moyens d’un État normal et développant au maximum toutes ses compétences, il pourra établir des relations fécondes avec les diverses communautés francophones qui espèrent des formes variées de relations et de soutien à leurs activités. En proposant particulièrement à la communauté francophone du Canada la nationalité québécoise, assortie d’organismes permanents basés sur la réciprocité Québec-Canada, le Québec fera facilement plus pour elle qu’il n’a jamais fait. Comme États civilisés en bons termes, les deux pays devraient trouver normal d’harmoniser les conditions de vie faites à leurs minorités désignées.

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